Poésie

Poèmes de supermarché

Magnason bonus poemes de supermarche couverture

Publié en version bilingue, ce recueil signé Andri Snær Magnason, Poèmes de supermarché/Bónusljóð, a pour titre, en Islande, quelque chose comme Poèmes en promotion ou Poèmes discount, ou encore, plus exactement, Bónus-poésie, d’après le nom du magasin qui lui sert de cadre, explique Éric Boury en postface. Une ode en vers à la consommation ? Plutôt une tentative de poésie ancrée dans la vie quotidienne, laquelle passe, impossible de l’ignorer, souvent par les rayons des grandes surfaces. « Moi/l’homme des temps modernes/télédépendant/je sens ressurgir en moi l’homme primitif/lorsque, fonçant avec mon caddie,/j’amasse encore et encore… » Né en 1973, Andri Snær Magnason a écrit des contes et des drames, des poèmes et des essais. LoveStar, roman que l’on peut classer dans le domaine de la politique fiction, a été publié en France en 2015 (Zulma). Ce recueil, Poèmes de supermarché, est conçu en trois parties, à la manière de la Divine comédie de Dante : avec le Paradis, le Purgatoire et l’Enfer. C’est dire si notre société consumériste est aujourd’hui globale, et même globalisante, et tend à l’instauration d’une autocratie sans plus aucune poésie…

 

* Andri Snær Magnason, Poèmes de supermarché (Bónusljóð, 1996), trad. Walter Rosselli ; postface Éric Boury, Éditions d’en bas, 2016

Hekla

Poèmes ? Dans sa belle préface, Régis Boyer parle de « méditations », pour ces textes de Philippe Rosset rassemblés dans Hekla. Peut-être. C’est l’Islande d’hier et c’est celle d’aujourd’hui que Philippe Rosset observe. L’Islande historique qui perce sous la contemporanéité : « J’ai un glaive acéré pour la bataille. À coups de pierre, la mouette de l’os qui vit le sang. Du cheval des rames, la forme, la couleur. Ils restent là, on entend Celui qui cassa le tertre prononça des vœux qu’il ne révéla. On continue. Il tourne encore parfois autour de cette colline. Il a bondi une seule fois dans le tertre antique. Il y vit encore désormais. » Les mots de Philippe Rosset sont précis. Ils se heurtent, résonnent. Font appel à la mythologie nordique, aux sagas. Nous entraînent d’un fjord à la lande, plus loin, d’un désert à une plaine. « Rapprochement des Nords. » Cherchent à « combler les époques », écrit encore Philippe Rosset. Une lecture pour partager cette atmosphère d’envoûtement propre à l’Islande...

 

* Philippe Rosset, Hekla (préf. Régis Boyer), Alidades, 2019

animale

Animale

C’est un regard à la fois contemplatif et en interaction avec la nature, celle de l’Islande, sa faune et sa flore si diverses, que Manon Rozier (née en 1972 à Aix-en-Provence et auteure d’albums pour les enfants) nous offre dans ce recueil bilingue, animale. « animale est un hommage/à la puissance tellurique/la beauté saisissante et sauvage/ode à l’oiseau/compagnon de route/double de soi », affirme la quatrième de couverture. L’Islande, et plus particulièrement la péninsule nord-ouest, cette région appelée Flateyri. Une zone aux paysages époustouflants, où des auteurs de romans policiers, par exemple, aujourd’hui, situent leurs intrigues – quand les mystères créés par les humains ne suffisent pas. Les textes de Manon Rozier ? Comme une respiration qui soudainement monterait des pierres, traverserait le lichen, se mêlerait à la brume... S’accoquinerait aux pas de celui ou de celle que ces paysages démesurés attirent – « à quatre pattes on court/vite ». La nuit n’existe plus, le jour est une aube sans fin. « La terre/réchauffe les ruisseaux/on boit aux sources/les corps plongent dans les eaux sacrées/la terre/répare. » La terre a toujours réparé les êtres humains mais l’ingratitude de ceux-ci ne lui épargne pas d’être sans cesse piétinée, souillée. Les mots de l’auteure cautérisent le mal-être qui peut saisir le voyageur. Son énumération des volatiles présents ici est à elle seule un poème troublant : « mouette tridactyle/fulmar boréal/grand labbe/pingouin torda/guillemot de Troïl/guillemot de Brünnich/macareux moine... » Autre poème, sa description de l’aigle de mer. Peut-être inconnus du lecteur, ces oiseaux semblent ouvrir grandes leurs ailes devant lui et s’envoler des pages de ce fort beau volume. « Quoi de plus maintenant » ? interroge (sans point d’interrogation, puisque inutile, à vrai dire) Manon Rozier, dont la passion pour l’ornithologie est forcément communicative. Qu’est-ce qui peut succéder à ces envols, à ces cris, à ces horizons fondus de joie et de douleur ? Pour tout amoureux de la folie intrinsèque des terres et mers islandaises, animale, « carnet du nord-ouest », à lire pour se laisser emporter. animale ? Car être humain, sur cette « route toute bleue/des lupins qui l’assaillent » (les lupins, espèce invasive, importée, qui caractérise aujourd’hui les paysages de certaines régions de l’île), c’est aussi être animal(e), faune et flore et minéral à la fois. Un recueil à lire lentement, puis à reprendre : « on enchaîne les premières fois » et on recommence, ravis, « le regard lavé des mémoires ».

* Manon Rozier, animale (Lifs, texte en islandais de Ólöf Pétursdóttir), Le Chantier, 2022

 

Dans ta lumière

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On se demande parfois pourquoi certains titres ne sont toujours pas traduits en français : souvent pour des raisons commerciales. A contrario, on peut aussi se demander pourquoi certains titres sont publiés ici. Pour preuve, ce recueil de poèmes de Thór Stefánsson (né en 1949), Dans ta lumière. « Aimer/nous apprend/à vivre./Vivre/nous apprend/à aimer. » Non, nous ne sommes pas au collège, en train de lire un échange épistolaire entre adolescents. L’auteur, nous indique la quatrième de couverture, est « professeur de français et rédacteur en chef de dictionnaires français/islandais », avec « à son actif plus d’une vingtaine de livres de poésie ». Alternant poèmes courts et illustrations « mythologiques » de Sigurdur Thórir, dans la même veine, Dans ta lumière rassemble des textes qui, il faut l’avouer, nous laissent cois : « Nouvel an./Encore une année pleine/de bonnes résolutions./Seront-elles surprenantes/ou les mêmes qu’avant ?/Inspirées/ou sur commande ? » Allons, reprenons notre lecture, vérifions que… Quelque chose nous a peut-être échappé ? Un second degré ? Un cinquième degré ?

 

* Thór Stefánsson, Dans ta lumière (trad. Lucie Albertini et l’auteur ; dessins de Sigurdur Thórir), L’Harmattan (Accent tonique), 2016

L’Amour et la vie

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« Quand tu es loin/il me suffit de penser/à toi et l’amour se répand… » Les amateurs de vers de mirliton se plongeront avec délice dans le nouveau recueil (bilingue – traduit par lui-même ?) de Thór Stefánsson, L’Amour et la vie. Ceux qui se méfient des subtilités du langage poétique seront ici rassurés : la langue du grand poète n’en recèle pas. Quant à ses coups de gueule, ils sont assez convenus (« Entravons/les terroristes ») pour ne susciter que des émotions convenues elles aussi. Tout est simple, « autour de toi/les poèmes fleurissent », l’amour est l’amour et la vie… la vie. S’abstenir de lire ce recueil ne peut être qu’une sage décision, non moins simple.

 

* Thór Stefánsson, L’Amour et la vie… et autres poèmes (Ástin og lífið… og fleiri ljóð), éd. bilingue, L’Harmattan (Accent tonique), 2017

Chez nous – Heima

Il est des auteurs qui ne se relisent pas. Pour preuve, Thór Stefánsson. Aurait-il, sinon, conservé ce texte dans son dernier recueil de « poèmes », Chez nous – Heima, au risque de s’attirer les foudres des partisans d’un esprit sain dans un corps sain : « Le bonheur est/comme une injection d’héroïne,/il nous pique/à l’improviste/et une béatitude délicieuse/fourmille dans notre corps/un très bref moment/et puis c’est fini./Nous attendons dans la grisaille/une nouvelle dose. » (« Le bonheur ») Ce qui est sûr, c’est que la lecture de ce recueil (comme des précédents de cet auteur) doit s’accompagner d’une forte prise de substance hallucinogène ou euphorisante légale ou moins légale pour se poursuivre jusqu’au bout !

 

* Thór Stefánsson, Chez nous – Heima (Heima, 2015), trad. de l’auteur en collaboration avec Nicole Barrière, L’Harmattan (Accent tonique), 2019

Panorama de la poésie islandaise

Panorama de la poesie islandaise

Sous-titré « 36 auteurs contemporains », ce Panorama de la poésie islandaise est une actualisation de l’anthologie publiée en 2004 par Thór Stefánsson, 25 poètes islandais d’aujourd’hui (Les Écrits des Forges/Le Temps des cerises). Dans ce livre, des hommes et des femmes, en nombre comparable, nés du début du XXe siècle (Thóra Jónsdóttir, par exemple) à sa fin (Hildur Knútsdóttir). Thór Stefánsson a le chic de ne pas se mettre en scène et on ne peut que l’en remercier. Quant aux auteurs et aux textes retenus (quatre pages chacun)... Aïe ! Nombre de « poèmes » traitent de l’amour et de la condition humaine (la solitude, le temps qui passe) et pourraient avoir été dérobés dans les journaux intimes d’adolescents rêveurs : « Mon cœur/une source couverte d’une glace fine/Craque/à la moindre vague. » (Valdimar Tómasson) Ou : « Je suis venue à toi/mais tu m’a quittée/dans le cœur de légères plumes blanches/et enfin je réalise que rêve et réalité ne font qu’un... » (Draumey Aradóttir) C’est mignon ou affligeant, selon l’humeur du lecteur. Ce n’est peut-être pas représentatif de la poésie islandaise contemporaine. Ou on l’espère. Car de grands noms ne figurent pas au sommaire (de « grand nom », il n’y a ici que Sjön, bof, bof ! parolier de Björk), ce n’est pas grave, il peut être bon de présenter de nouveaux talents ou des talents ignorés, mais là... ! Pourquoi pas Jón Óskar, Sigurður Pálsson, Andri Snær Magnason – parce que déjà traduits en français (mais c’est le cas de Sjön) ? Heureusement quelques auteurs sauvent un peu les meubles : Ingunn Snædal, Elisabet Jökulsdóttir, Vésteinn Lúðvíksson, Einar Ólafsson (« Le poème t’apparaît comme une mouche sur le mur de la cuisine,/il t’apparaît dans la banlieue/semblable à n’importe quel immeuble »), Hildur Knútsdóttir (et ses « définitions de mots »)... Une anthologie qui passe à côté du sympathique projet initial, faire découvrir aux Français un courant littéraire aussi important que méconnu.

* Thór Stefánsson, Panorama de la poésie islandaise, trad. Thór Stefánsson & Nicole Barrière, Le Cygne, 2021

 

Réflexions

Reflexions

Réflexions est « le cinquième recueil en traduction française » de Thór Stefánsson, nous apprend la quatrième de couverture de ce nouvel opuscule de poésie ou plutôt d’aphorismes. Comme pour les précédents, le malchanceux lecteur peut se montrer sceptique ou... ne rien comprendre. « ...Il est mauvais d’être riche/et l’équilibre n’est jamais atteint/sauf si toutes les parties pèsent également ». Mais encore ? Les évidences les plus plates sont assénées comme autant de « réflexions » en cours. La persévérance de l’auteur à publier de si fortes pensées prête à l’éloge. « Nous pouvons décider/que tout est sans espoir/que tout va de travers/et que le monde va/toujours de pire en pire/Mais c’est l’espoir/qui nous maintient en vie. » La persévérance du lecteur peut avoir, elle, ses limites.

* Thór Stefánsson, Réflexions, trad. de l’auteur en collaboration avec Nicole Barrière, Le Cygne (Poésie du monde), 2023