Romans policiers

Les Parias

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Un nouveau roman de Arnaldur Indriðason est toujours une bonne nouvelle. Ici, avec Les Parias, il poursuit sa série centrée sur le personnage de Konrad (Ce que savait la nuit, Les Fantômes de Reykjavík, La Pierre du remords, Le Mur des silences), son ex-policier, dont le père assassiné, Josep P. Grimmson, dit Seppi (surnom très péjoratif), se révèle à chaque volume un type plus abject. L’âme toujours quelque peu en peine, Konrad n’est pas sans ambiguïtés. « Konrad faisait de son mieux pour ne pas céder aux sirènes de la corruption, il avait cependant conservé le goût du risque, cette vieille sensation héritée de son enfance. Il ne savait pas lui-même s’il était fasciné par le jeu de cache-cache, par l’occasion de gagner de l’argent sans effort, ou si c’était par hostilité envers l’institution à laquelle il appartenait désormais. » Konrad est indécis sur bien des choses, pour preuve ses relations avec les femmes qui l’entourent : sa sœur Beta, Svanhildur, sa maîtresse, Marta, son ex-collègue, Eyglo, une amie qui se livre à l’occultisme... Lorsqu’il exerçait comme policier, il a fermé les yeux sur nombre de trafics, notamment ceux de Leo, un collègue et ami, dont il a profité. « ...Plus le temps passe, plus je mesure à quel point tu ressembles à ton père », se désole Beta. Ne connaîtra-t-il jamais les causes de la mort du paternel ? Il ne peut s’empêcher de se renseigner lorsqu’il en a l’occasion, quitte à se faire réprimander par ses collègues d’hier. Il relie de vieilles affaires entre elles. Via plusieurs enquêtes policières qui s’entrecroisent, dont l’une sur les sévices sexuels pratiqués à l’encontre de jeunes garçons dans un sanatorium, Les Parias aborde la question de ces individus que la société islandaise n’a longtemps pas acceptés : les homosexuels. « ...La vie de paria des homosexuels à Reykjavík dans les années 60, une époque où ils n’osaient pas avouer qu’ils aimaient les hommes. Ils vivaient cachés, se rencontraient en secret et n’avaient nulle part où se retrouver sauf les uns chez les autres, ils vivaient dans la honte et la peur d’être démasqués comme des criminels. » Ce roman offre diverses entrées de lecture, pas que policières, on le voit. C’est un personnage tout en demi-teintes que Arnaldur Indriðason présente ici, plus encore que dans ses ouvrages précédents, notamment ceux avec Erlendur – qui lui était un policier aussi tourmenté que soucieux des règles. On ne peut qu’inviter à lire ce roman, noir comme la nuit au fond de l’hiver islandais... C’est dire !

* Arnaldur Indriðason, Les Parias (Kyrrլey, 2020), trad. Éric Boury, Métailié (Noir), 2022

Le Mur des silences

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Arnaldur Indriðason commence Le Mur des silences par le regard d’une médium. Puis vient celui de l’ex-inspecteur Konrad Josepsson, aujourd’hui à la retraite, toujours décidé à faire la lumière sur l’assassinat de son père. Un corps est retrouvé derrière le mur d’une cave, dans une maison autrefois visitée par son amie Eyglo (qui pense qu’il existe « des phénomènes invisibles à l’œil humain »), quand l’occupante lui avait certifié que les lieux étaient hantés. Comme toujours chez l’auteur, plusieurs enquêtes avancent de concert, jusqu’à converger. Le père de Konrad était vraiment un sale type, qui escroquait de l’argent à des victimes frappées par le malheur et le chagrin. Pour approcher de la vérité, Konrad prend de gros risques, allant jusqu’à apparaître, pour ses anciens collègues, comme le coupable – et si ce n’est lui, ce pourrait être sa mère quand elle a découvert que Seppi, le père de Konrad donc, violait leur fille. « Il avait l’impression que la vie (…) l’amenait régulièrement à douter du bien-fondé de ses actes, comme de ceux qu’il choisissait de ne pas accomplir. Rien n’était simple. La réalité ne se limitait pas aux apparences. » Souffrant d’un profond mal-être, Konrad est bringuebalé entre le passé et le présent, pas fichu d’assumer une aventure extraconjugale, que lui reproche son fils. Observons une certaine pudibonderie, non de ses personnages mais de l’auteur (nous l’avions déjà remarqué dès ses premiers ouvrages, cf. notre Dictionnaire du roman policier nordique, Les Belles lettres), avec l’infidélité conjugale considérée ici comme un acte totalement rédhibitoire. Le Mur des silences est un roman poignant, articulé autour de ce que nous nommons aujourd’hui « les violences faites aux femmes » (femmes mariées battues ou petites filles violées...) « Je n’aurais jamais dû mettre le nez là-dedans, avait soupiré Konrad. J’ai toujours su que ça finirait par m’attirer des ennuis. Je savais que ça n’apporterait rien de bon à personne et... malgré ça, je n’ai pas pu m’empêcher de remuer cette histoire comme un idiot. » Le volume s’achève sans que le meurtrier de son père soit nommément désigné. On ne peut donc qu’attendre impatiemment la suite.

* Arnaldur Indriðason, Le Mur des silences (Þagnarmúr, 2020), trad. Éric Boury, Métailié (Noir), 2022

 

Les Roses de la nuit

En France, les romans de Arnaldur Indriðason sont publiés, depuis le début, dans le désordre. Ainsi, celui-ci, Les Roses de la nuit, est le cinquième de la série mettant en scène Erlendur Sveisson, entre Les Fils de la poussière et La Cité des jarres. « S’il avait existé une photo intime de lui, elle l’aurait sans doute montré dans son salon, en train de lire, ou endormi devant la télévision allumée. Son existence était solitaire et monotone. Il n’avait pas pris de vacances estivales depuis des années. Il avait très peu d’amis et ne voyait que ses collègues. Il ne cherchait pas à nouer des relations. Il n’en ressentait pas le besoin. » On retrouve là un Erlendur esseulé, qui a recours à sa fille, toujours junkie, pour l’aider à avancer dans une enquête prenant apparemment le milieu des trafiquants et usagers de drogue pour cadre, avec l’assentiment des politiciens qui permettent la vente de quotas de pêche et réduisent de fait une population à la misère. « Certains se retrouvent assis sur des millions tandis que d’autres n’ont plus rien. » Comme de bien entendu, des puissants du pays sont également mêlés au trafic et par voie de conséquences au cadavre retrouvé. Agréable à lire, comme tous les ouvrages de Arnaldur Indriðason, Les Roses de la nuit n’est pas le plus original de ses romans, peut-être un peu trop roman à énigme.

 

* Arnaldur Indriðason, Les Roses de la nuit (Dauðarósir, 1998), trad. Éric Boury, Métaillé (Noir), 2019

La Pierre du remords

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Arnaldur Indriðason continue la série consacré à Konrad, avec ce troisième titre, La Pierre du remords, qui prend un Reykjavík populeux et contemporain pour cadre. Valborg ? « Elle m’a contacté pour me demander si je pouvais l’aider à retrouver son enfant », explique Konrad, aujourd’hui policier à la retraite, à Marta, son ex-collègue qui a déniché son numéro de téléphone chez la vieille dame qui vient d’être assassinée. Une personne sans histoire, Valborg ? Konrad se souvient qu’elle était venue le trouver, quand il exerçait encore, elle souhaitait qu’il enquête. De nombreuses années auparavant, enceinte, elle avait voulu avorter mais des intégristes l’en avaient dissuadée, découvre-t-il rapidement. Son enfant aurait été remis à des parents adoptifs. Un rapport avec son meurtre ? « Pour sa part, il n’avait jamais ressenti le besoin de croire en Dieu, ni en la Providence, ni en la Sainte Parole, pas plus que celui de s’inspirer d’un texte ou d’un message religieux pour mener sa vie. » Konrad regrette de ne pas avoir répondu positivement et maintenant, c’est un individu de presque cinquante ans qu’il recherche. Parallèlement, avec Eyglo, il continue à recueillir des informations sur le meurtre dont son père a été victime. Un sale type, que ce paternel, qui se faisait passer pour un voyant et, avec l’aide d’un complice, le père d’Eyglo, escroquait des personnes frappées par le malheur. Des sales types, il y en a d’autres dans ce roman, qui battent les femmes et les violent – l’avortement comme une question de survie. Konrad avance à l’aveuglette, en se passant des bons soins de la police officielle. Que ce soit dans l’affaire Valborg ou dans celle de son père, les faits sont anciens, l’intuition le sert plus que les preuves ou les aveux. Le présent et le passé s’imbriquent, comme toujours dans l’œuvre de Arnaldur Indriðason, au ton si personnel, et une forte nostalgie se dégage de cette lecture. Un roman aussi sombre que prenant.

* Arnaldur Indriðason, La Pierre du remords (Tregasteinn, 2019), trad. Éric Boury, Métailié (Bibliothèque nordique), 2021

Les Fantômes de Reykjavík

Si certains titres sont énigmatiques, celui du nouveau roman de Arnaldur Indriðason, Les Fantômes de Reykjavík, peut mettre la puce à l’oreille du futur lecteur sur le sujet traité. Car il va être question ici de revenants, ceux qui peuvent hanter des vivants longtemps et influer sur le cours des événements. Après avoir fait connaissance de Konrad, policier à la retraite, dans le volume précédent (Ce que savait la nuit) et découvert son enfance calamiteuse, un père escroc et violent « poignardé par un inconnu » en 1963 et qui se révèle ici pédophile, nous sommes confrontés à une enquête qui mêle, comme souvent chez cet auteur, plusieurs périodes, le début des années 1960 et aujourd’hui. L’Islande a beaucoup changé et les descriptions dont Arnaldur Indriðason parsème son récit le prouvent. À l’instigation d’une femme qui se présente comme « médium » et qu’il ne connaît que de façon lointaine, Konrad est amené à reprendre le travail bâclé de ses collègues. En 1961, une fillette avait été retrouvée morte, dans un lac. Un accident ? N’aurait-elle pas été enceinte, à douze ans, et ne serait-ce pas le responsable qui l’aurait assassinée ? Le type d’histoire « qui arrivaient presque tous les jours. Des histoires de viols et de comportements indignes, des histoires d’enfants, de petites files, de petits garçons, des histoires de femmes piégées dans des relations violentes, des histoires d’hommes qui les harcelaient, les menaçaient, elles et leurs enfants. » Un peu malgré lui, Konrad découvre ce que personne n’aurait dû apprendre et finalement le passé et le présent s’imbriquent. Un roman policier, Les Fantômes de Reykjavík ? Oui et beaucoup plus. Un beau roman.

 

* Arnaldur Indriðason, Les Fantômes de Reykjavík (Stúlkan hjá brúnni, 2018), trad. Éric Boury, Métailié (Noir), 2020

 

 

Le Lagon noir

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La présence de forces américaines sur le territoire national a toujours été un sujet de discorde pour les Islandais. Arnaldur Indridason revient une nouvelle fois dessus dans son dernier roman, Le Lagon noir. Le précédent, Opération Napoléon traitait déjà, rappelons-le, de cette présence militaire décriée. Le Lagon noir commence par la découverte, en 1979, dans un lagon près de Reykjavík, d’un corps dont les membres sont brisés comme s’il avait été victime d’une terrible chute. Erlendur, lui, n’est « à la Criminelle que depuis deux ans et continue à se familiariser avec ses collègues et leurs méthodes de travail. (…) Fatigué de ses patrouilles en ville, il s’était décidé à contacter Marion. » Marion Briem, qui travaille avec lui et se trouve, en quelque sorte, être son mentor. Erlendur n’est pas un pasteur, comme le lui reproche gentiment Marion, mais déjà il en possède la posture et le lecteur qui connaît les autres volumes (La Cité des Jarres, La Femme en vert, La Voix, etc.), les suivants dans l’ordre chronologique, ne s’en étonnera pas. Il avait débuté sa carrière en enquêtant sur le meurtre, précocement classé, d’un clochard. Ici, sa conviction se fait rapidement. Un lien existe entre la base américaine de Keflavik, à peu de distance du lagon, et l’homme retrouvé mort. En compagnie de sa chef Marion Briem, Erlendur enquête, sans prononcer un mot de trop, sans révéler grand-chose de ses sentiments, sinon qu’il est « contre l’armée », ce qui, pour un inspecteur de police n’est pas si courant même en Islande et même en tenant compte des forces militaires américaines. En parallèle, il cherche aussi à comprendre pourquoi une jeune fille a disparu vingt-cinq ans plus tôt à peu de distance de là. Les deux enquêtes se rejoindront-elles ? Au meilleur de sa forme littéraire, Arnaldur Indridason parvient encore une fois à captiver son lecteur et à lui faire comprendre la complexité de la société islandaise.

 

* Arnaldur Indridason, Le Lagon noir (Kamp Knox, 2014), trad. Éric Boury, Métailié (Noir), 2016

Les Nuits de Reykjavík

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Les romans de Arnaldur Indridason ne se ressemblent jamais, sinon par le fait qu’ils surprennent toujours leurs lecteurs. Classés dans le rayon « romans policiers », ils n’appartiennent, finalement, que de loin à ce genre : l’Histoire occupe, dans chacun d’entre eux, une place importante, elle explique le comportement des uns et des autres aujourd’hui. Les Nuits de Reykjavík n’échappe pas à cette règle. On fait connaissance ici avec Erlendur, vingt-huit ans, qui a réussi le concours de l’école de police et se trouve affecté dans une brigade de proximité de la capitale islandaise en compagnie de deux collègues peu motivés. On apprend beaucoup de choses sur ce personnage central de l’œuvre de Indridason. D’abord, sa liaison avec Halldora, qui se prépare à travailler dans un central téléphonique et qui lui annonce bientôt être enceinte et souhaiter emménager avec lui. Puis l’intérêt de Erlendur pour les disparitions. Le jeune policier est déjà tel qu’il sera vers la fin de sa vie : « Il n’avait jamais aimé porter l’uniforme et trouvait qu’il avait l’air d’un imbécile quand il arpentait les rues en tenue ». Pas de tueur en série, ici, pas de malfrats d’envergure. L’enquête débute un an après la découverte d’un corps, celui d’un clochard, en périphérie de la capitale islandaise. Erlendur pressent qu’il ne s’agit pas d’un accident, comme tout peut pourtant laisser à croire. Il mène d’abord l’enquête, seul, sans en référer à sa hiérarchie – parce que sa conscience le travaille et qu’il ne peut pas faire autrement. Ses personnages principaux sont les laissés-pour-compte d’une société de bien-être. Supérieure hiérarchique de Erlendur, la commissaire Marion Briem, que l’on retrouvera dans d’autres titres, est mal à l’aise pour le féliciter : « Vous devriez passer nous voir à la Criminelle si vous avez envie d’un peu de changement. (…) J’ai pu constater que ça ne vous gênait pas d’enfreindre toutes les règles que nous nous imposons au sein de la police. » Remarque qui cerne parfaitement le personnage.

 

Les Nuits de Reykjavík (Reykjavíkurnætur, 2012), trad. Éric Boury, Métailié (Noir), 2015

Les Fils de la poussière

Les volumes qui mettent en scène Erlendur Sveinsson, ce policier imaginé par Arnaldur Indriðason, ont été édités, en traduction française, dans le désordre, ce qui est bien sûr dommage. Avec Les Fils de la poussière, premier roman de l’auteur, c’est à un Erlendur à mi-carrière que l’on a affaire. Comme dans les autres volumes, l’intrigue est ici policière, mais va plus loin – on peut parler de dystopie. Pourquoi un enseignant soupçonné d’actes pédophiles a-t-il donné des pilules de foie de morue à ingurgiter à ses élèves ? Pratique certes courante en Islande, à une certaine époque, mais pourquoi ces élèves ont-ils sombré dans la drogue et la délinquance, ou sont-ils morts prématurément ? Quelle est la responsabilité du dirigeant d’une importante entreprise pharmaceutique installée en Allemagne et en Islande ? « Leur vie a été détruite. Vous la leur avez volée », s’emporte l’un des rescapés. « Vous les avez pris comme cobayes pour des expériences inutiles uniquement destinées à distraire le malade mental que vous êtes. (…) Un malade mental en quête de richesses qu’il ne pourra jamais dépenser. » Un roman troublant, à l’instar de tous ceux de Arnaldur Indriðason, qui s’intéresse une fois de plus aux questions de la génétique – sujet sensible en Islande avec une population longtemps captive et en nombre réduit. Indriðason n’est pas qu’un auteur de romans policiers : c’est une nouvelle fois évident.

 

* Arnaldur Indriðason, Les Fils de la poussière (Synir duftsins, 1997), trad. Éric Boury, Métailié (Noir), 2018

Reykjavík

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L’écrivain de romans policiers gnan-gnan Ragnar Jónasson s’est associé avec la Première ministre islandaise Katrín Jakobsdóttir (née en 1976 à Reykjavík, écolo et féministe, Première ministre depuis 2017) pour écrire ce polar, Reykjavík. « De manière générale, les Islandais étaient obsédés par les histoires policières... » En 1966, sur la petite île de Videy, au large de la capitale islandaise, une jeune fille disparaît alors qu’elle est employée chez un couple de notables. Aucune trace d’elle, ni son cadavre ni sa valise avec ses affaires. Kristján Kristjánsson, le jeune policier qui enquête, comprend que sa hiérarchie ne souhaite pas qu’il persévère. L’enquête tourne en rond, la jeune fille semble s’être volatilisée. Trente ans plus tard, Valur, un journaliste ambitieux, reprend l’affaire. « Peut-être que cette enquête a besoin de sang neuf, d’un regard frais, d’un jeune homme comme vous », lui dit le policier d’alors. Mais le journaliste meurt, renversé par un autobus. Peut-être l’a-t-on poussé. Sunna Róbertsdóttir, sa sœur, reprend l’enquête. Le récit avance rapidement, ponctué de considérations sur l’évolution urbanistique de la ville ou la rencontre Reagan-Gorbatchev à Reykjavík fin 1986. Les milieux d’affaires et politiques semblent concernés. « « Ces amis s’étaient donc bien réunis sur Videy trente ans auparavant, ils avaient trop bu et l’un d’entre eux s’était révélé être un véritable prédateur. Suffisamment dangereux pour assassiner une adolescente. Et tous avaient gardé le silence. » Le lecteur peut avoir l’impression de lire un remake d’Agatha Christie ou un roman pour adolescents. Bof, bof, bof !

* Ragnar Jónasson & Katrín Jakobsdóttir, Reykjavík (Reykjavík, 2022), trad. de l’islandais Jean-Christophe Salaün, La Martinière (Noir), 2023

À qui la faute

A qui la faute

Ragnar Jónasson ne s’inscrit pas dans ce courant que l’on appelle le roman policier nordique contemporain. Avec lui, pas d’équipe d’enquêteurs prêts à bosser ensemble, de policiers déprimés, pas de questionnement social... Ses romans s’apparentent à ceux d’Agatha Christie, dont il a été le traducteur en Islande – une enquête bien ficelée, un point c’est tout. Ainsi, À qui la faute est une sorte de huis-clos dans le centre désert de l’Islande, en plein mois de novembre. Quatre amis, ou pseudo-amis, se sont donné rendez-vous pour une excursion consacrée à la chasse à la perdrix des neiges. Mais rien ne se passe comme espéré. D’importantes bourrasques de neige les contraignent à chercher refuge dans un pavillon de chasse. Lequel est déjà occupée par un homme armé d’un fusil. Qui est-il ? Que veut-il ? Il ne dit pas un mot. La situation dégénère vite. Le lecteur passe de l’un à l’autre personnage, sans comprendre d’abord les non-dits qui les relient. « Une sorte d’équilibre de la terreur s’était instaurée (…). La haine, la colère, la peur et l’instinct de survie dirigeaient tout. » Le roman n’est pas difficile à lire mais ne présente pas d’intérêt. La fin est très ouverte, ce qui peut surprendre. Tant mieux !

* Ragnar Jónasson, À qui la faute (Úti, 2021), trad. Jean-Christophe Salaün, La Martinière (Noir), 2023

Nátt

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Comme souvent, les romans d’une même série sont publiés, lorsqu’ils sont traduits, dans le désordre. Ainsi est-il précisé au début de celui-ci, Nátt, qu’il prend place entre Snjóet Mörk, déjà parus. Nátt est donc le deuxième volume de la série Dark Iceland. Un homme est retrouvé assassiné, tué par une planche au bout de laquelle il y avait un clou, dans la maison en construction d’un médecin à la réputation douteuse. Ari Thór est ici toujours sous les ordres de Tómas et a pour collègue un policier dépressif, Hlynur, poursuivi par son passé. Il a rompu avec Kristín, mais aussi avec sa nouvelle compagne. « C’était un garçon impossible, d’une jalousie maladive, capable de prendre des décisions stupides. » Ísrún, présentatrice du journal télévisé, reconnaît l’homme assassiné et vient également enquêter. Elle laisse derrière elle la capitale au-dessus de laquelle volent les cendres du volcan Eyjafjallajökull. (Nous sommes donc en 2010.) « Il fait nuit noire à Reykjavík. C’est glauque. (…) Une vision de l’Enfer. » Mais l’enquête est menée à Siglufjödur, comme dans le premier volume. Plusieurs pistes apparaissent : trafic de drogue, règlement de compte, traite des êtres humains, vengeance... Les policiers, à commencer par le héros, Ari Thór, se comportent de façon peu professionnelle. Mais à la fin, tout s’imbrique à l’arrachée. Un polar sans prétention qui se conclut, dans le volume traduit en français, par... trois pages de publicité pour le tourisme en Islande « sur les traces d’Ari Thór, et les lieux du livre... », une compagnie d’aviation (« plus jeune flotte d’Islande, ils sont aussi ceux avec la plus faible émission de gaz carbonique ») et une chaîne d’hôtel « reconnue pour veiller à réduire son impact environnemental » (ce qui signifie : on pollue toujours plus, mais avec bonne conscience). Il fallait oser.

 

* Ragnar Jónasson, Nátt (Myrknoetti, 2011), trad. de la version anglaise, d’après l’islandais, Philippe Reilly, La Martinière, 2018

Vík

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Prodigieusement cucul, ce roman de Ragnar Jónasson, Vík ! Ásta revient chez elle, à Kálfshamarsvík dans le nord-ouest de l’Islande, vingt-cinq ans après des faits qui ne sont dévoilés au lecteur que progressivement. Quand elle est retrouvée au bas du phare de la presqu’île, la police, appelée sur les lieux, suspecte un crime. Ari Thór Arason s’y rend, en compagnie de sa compagne Kristín, enceinte de huit mois mais qui conduit pourtant son propre véhicule, et de Tómas, son ancien chef. S’ensuit une enquête très classique, un pseudo huis-clos qui met en scène les quelques personnes qui vivent là, avec ses inévitables retournements de situation. Les dialogues sont affligeants (« Allez, crachez le morceau ! » s’emporte Tómas lors de l’interrogatoire d’un vieil homme, sans raison particulière) ; des petites phrases entre deux indiquent au lecteur ce qu’il doit comprendre pour entretenir le suspens. Pas question non plus d’échapper au couplet moralisateur : dans un couple, on ne « trompe » pas son conjoint ou sa conjointe. Foi de Ari Thór ! L’intrigue est lassante, le mobile sans originalité. C’est sans intérêt, c’est ennuyeux. Les remerciements en fin de roman, aujourd’hui quasi-systématiques, sont très scolaires, du genre « Je remercie mon papa et ma maman et... j’espère que je n’oublie personne... » ! Nous ne pensons pas grand bien des talents d’écrivain de Ragnar Jónasson, comme nous l’avons déjà dit ici, mais avec ce roman, c’est le pompon. Agatha Christie doit se retourner dans sa tombe d’être si mal plagiée !

* Ragnar Jónasson, Vík (Andköf, 2013), trad. de l’anglais Ombeline Marchon, La Martinière (Noir), 2019

Sigló

Sigló : pour Siglufjödur, ville du nord de l’Islande où se passe ce nouveau volume de Ragnar Jónasson, avec l’inspecteur Ari Thór Arason dans le rôle principal. Un policier auquel il ne faut pas en demander trop : « Ari ne nourrissait pas un grand intérêt pour l’histoire. S’il avait un peu de temps libre, il préférait le passer à écouter de la musique et à essayer de se vider l’esprit plutôt que de l’encombrer d’événements révolus. » Bonne chance dans ton boulot, peut on lui souhaiter. En plein centre ville, Unnur, « une jeune fille tout à fait charmante, polie, chaleureuse, appliquée dans ses études », est retrouvée morte sur la chaussée. S’est-elle jetée du balcon de l’immeuble qui donne sur cette importante artère commerçante ? « Tout portait à croire que son seul objectif avait été de quitter ce monde. (…) C’était la conclusion la plus simple. Mais compte tenu des dires de la mère, une enquête approfondie s’imposait. » Foi de Thór. Et même deux enquêtes, puisqu’un vieillard suggère que Unnur a été tuée, qui s’entrecroisent et le laissent sur les rotules, dans le lit de son ex-ex. Publié d’abord en France, avant même l’Islande, pour faire plaisir à ses lecteurs français, si, si, Sigló est donc le sixième volume d’une série de Ragnar Jónasson sans grand intérêt. Très facile à lire, familial, adaptable à la télévision. « ...Ragnar a accédé en quelques années seulement au rang des plus grands auteurs de polars internationaux », est-il écrit en quatrième de couverture. Autant lire les « plus petits auteurs... », alors !

* Ragnar Jónasson, Sigló (Vetrarmein, 2020), trad. Jean-Christophe Salaün, La Martinière (Noir), 2020

La Dame de Reykjavík

Nous ne sommes pas des laudateurs des ouvrages de Ragnar Jónasson, beaucoup trop ancrés dans le roman à énigme d’autrefois, aussi ne cacherons-nous pas notre plaisir de lecture avec La Dame de Reykjavík. Inspectrice principale au commissariat de Reykjavík, Hulda Hermannsdóttir, soixante-quatre ans, est à deux doigts de la retraite. Son chef lui permet de s’occuper d’une dernière enquête, pas plus de quinze jours lui dit-il, avant de tirer le rideau derrière elle. « Elle avait le sentiment d’avoir été virée, flanquée à la porte. Comme si toutes ces années de bons et loyaux services n’avaient aucune valeur. » Hulda se penche sur la disparition d’une jeune russe, Elena, à proximité de la capitale, « plus d’un an » auparavant. Sa propre vie va alors basculer. Par petites touches, Ragnar Jónasson mêle la policière à l’enquête qu’elle mène – elle n’est pas neutre. Un roman avec une fin plutôt inattendue. De loin, le meilleur de Ragnar Jónasson.

 

* Ragnar Jónasson, La Dame de Reykjavík (Dimma, 2015), trad. de la version anglaise, d’après l’islandais, Philippe Reilly, La Martinière, 2019

La Dernière tempête

La derniere tempete trilogie la dame de reykjavik

Le moins que l’on puisse dire est que La Dernière tempête, le nouveau roman de Ragnar Jónasson, se laisse lire. L’enquête, ou plutôt la double, voire la triple enquête, est bien menée, tourner les pages s’impose tant le lecteur souhaite connaître la suite. Ce volume, dernier de la trilogie La Dame de Reykjavík, (et le seul à être traduit de l’islandais et non de l’anglais) prend place, comme rappelé au tout début, dix ans avant L’Île au secret, second volet, et vingt-cinq ans avant La Dame de Reykjavík, premier volet. Hulda Hermansdóttir est âgée d’une quarantaine d’années. Elle enquête sur la disparition d’une jeune fille qui effectuait un tour de l’Islande en stop, tout en écrivant un roman. Mais une tragédie survient : sa propre fille, Dimma, treize ans, se suicide. Jón, son mari et père de Dimma, porterait-il une part de responsabilité ? Enfin, deux corps sont découverts dans une ferme isolée, ceux d’un couple de personnes âgées. Le roman se déroule sur fond de tempête de neige. Des « vents violents », « un vrai blizzard », « beaucoup de neige »... Et le sapin de Noël avec des cadeaux encore empaquetés à son pied dans la jolie maison du double homicide. Comme pour le précédent volume, L’Île au secret, le titre de celui-ci sonne « roman d’aventure ». En quatrième de couverture, une phrase tirée du journal The Times : « Ragnar Jónasson ne serait-il pas le meilleur auteur de romans policiers de notre époque ? » Aïe ! La Dernière tempête met en scène une inspectrice frappée par la vie. Son conjoint est-il coupable d’inceste et de pédophilie ? Ses collègues ne lui pardonnent pas d’être une femme. « Aucune réussite ne lui apportait de satisfaction, le travail ne s’achevait jamais vraiment. Et qu’elle ne s’attende pas à un compliment, encore moins à une récompense. Le mystère était levé dans l’indifférence, puis on tournait la page. Peut-être plus spécifiquement parce qu’elle était une femme dans un monde d’hommes. » Un roman gentillet, bien construit, mais de là à le qualifier de chef-d’œuvre... !

* Ragnar Jónasson, La Dernière tempête (Mistur, 2017), trad. Jean-Christophe Salaün, La Martinière, 2021

 

Dix âmes, pas plus

Dix ames pas plus

« Quelle meilleure solution que de devenir enseignante dans un village si petit qu’il méritait à peine ce qualificatif ? Dix âmes, pas plus. Comment une société de cette taille pouvait-elle fonctionner ? » Una ne s’interroge pas plus et répond positivement à la petite annonce que Sara, sa meilleure et seule amie, a déniché pour elle dans le journal : « Recherche enseignant au bout du monde », autrement dit sur la péninsule de Langanes, dans le village de Skálar. Elle découvre qu’elle fera classe pour seulement deux enfants, des fillettes de sept et neuf ans. Les habitants se montrent vite hostiles envers elle, d’autant plus lorsqu’elle cherche à apprendre qui était la petite fille morte plus de cinquante ans auparavant dans la maison où elle est accueillie. « Évidemment, elle ne croyait pas aux histoires de fantômes, mais cette fois, elle ne parvenait pas à se débarrasser de son malaise. » Le rythme de ce roman est très rapide, les chapitres sont courts, une action en entraîne une autre. Le tout, dans une ambiance feutrée, malsaine. « Il y a tellement de choses qu’on n’a pas le droit de dire. » Auteur d’une petite dizaine de romans policiers, Ragnar Jónasson signe là un thriller extrêmement moralisateur et en même temps cynique, idéal pour tromper l’ennui, dans un court voyage en train, par exemple.

* Ragnar Jónasson, Dix âmes, pas plus (Þorpið, 2019), trad. Jean-Christophe Salaün, La Martinière, 2022

 

Gaeska

Soudain, il se passe des choses étonnantes en Islande. Pour des raisons indéterminées, des femmes se jettent par les fenêtres. Reykjavík est recouvert par un nuage de fumée provenant du volcan Esja. « Le monde avait tout bonnement changé depuis la veille. » Halldor Gardar exerce la profession de dentiste, il est par ailleurs député du Parti conservateur. La voie de son papa, qu’il refusait absolument de suivre lorsqu’il était enfant. Le voici aux premières loges pour observer la transformation du pays. « Partout on voyait des gens qui erraient et mendiaient, essayant de vendre le peu qu’ils étaient parvenus à sauver des huissiers. » (Observons que même lorsque le monde est à feu et à sang, les huissiers sévissent toujours. Le monde détruit, comme les scarabées ils seront encore à l’affût.) Les événements se succèdent, il y a l’avant-révolution, puis l’après-révolution. La planète au lendemain de l’apocalypse... Avec des analyses qui sonnent juste : « Nous avions bâti un monde qui nous protégeait comme une carapace. (… Puis) les services publics ont été chargés de se protéger eux-mêmes. (…) C’est que ça coûte de l’argent. » Et d’autres analyses plus foireuses – cf. les dernières pages. Politique fiction ? Comme les précédents romans de Eiríkur Örn Norðdahl, celui-ci, Gaeska, ne nous accroche pas. L’intrigue est là, mais semble tellement caricaturale (ah, cette petite fille d’origine marocaine qui cherche ses parents, « déguisés en Islandais » !) qu’elle lasse très vite. Trop fabriqué peut-être.

 

* Eiríkur Örn Norðdahl, Gaeska (Gæska, 2009), trad. Éric Boury, Métailié (Bibliothèque nordique), 2019

Le Filet

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Sonja profite du soleil de la Floride avec Tómas, son fils, lorsque celui-ci disparaît. C’est Adam, son ex et le père de l’enfant, qui l’a enlevé. Pour que Sonja puisse continuer à s’occuper de lui, il lui propose de reprendre son activité de passeuse de drogue à l’aéroport de Reykjavík (thème du volume précédent, Piégée). « Elle avait appris à ses dépens que, si elle ne se trouvait pas elle-même un but, les autres s’en chargeraient pour elle. Et elle en avait eu assez. Voilà pourquoi, même si elle était prise dans un filet, obligée de suivre les ordres d’Adam, elle allait vers une issue certaine. Une issue dont Adam ne serait pas content. » On retrouve dans Le Filet les personnages déjà présents dans Piégée, notamment Bragi, ce douanier près de la retraite, qui vient en aide à Sonja pour pouvoir, avec l’argent malhonnêtement gagné, secourir sa femme atteinte de la maladie d’Alzheimer. L’Islande, s’aperçoit-il, est sur le trajet des pourvoyeurs de drogue. « …Je suis plutôt soulagé que l’Islande soit juste une escale, un arrêt sur la route vers l’Amérique. Au moins, tout ça ne finit pas dans les narines des Islandais. » Les différents stades de l’action s’imbriquent bien, Lilja Sigurðardóttir ne laisse pas l’attention retomber avant la dernière page. Une petite série (trois volumes annoncés pour ce Reykjavík noir) avec des douaniers plutôt que des policiers – présents tout de même, ceux-ci enquêtent en parallèle sur des affaires de blanchiment d’argent. Aux côtés de Arnaldur Indriðason et de Yrsa Sigurðardóttir, Lilja Sigurðardóttir prend avec talent sa place.

 

* Lilja Sigurðardóttir, Le Filet (Netið, 2016), trad. Jean-Christophe Salaün, Métailié (Noir), 2017

Trahison

Les trois romans de Lilja Sigurðardóttir publiés jusqu’à présent (Piégée, Le Filet, La Cage) nous avaient laissés sceptiques. De bons polars, mais sans plus. Avec Trahison, c’est autre chose. Un peu comme Camilla Läckberg qui offre une série ronronnante (Fjällbacka), puis publie La Cage dorée, un cran au-dessus. Úrsúla Aradóttir vient d’être nommée ministre de l’Intérieur, pour une année. Une consécration pour cette femme encore jeune qui a derrière elle une riche expérience dans le secteur de l’humanitaire. Sitôt en poste, une mère la contacte, lui demandant de faire avancer le dossier sur le viol de sa fille. Úrsúla promet de faire de son mieux pour que le coupable soit condamné, avant de découvrir qu’il y a obstruction. Par son bras droit. La voilà prise dans un engrenage auquel elle ne s’attendait pas. Le monde de la politique n’est pas moins féroce que celui de la guerre, découvre-t-elle, elle qui avait accepté ce poste avec l’idée de faciliter l’accueil des migrants. Elle se sent victime d’une trahison. « Après mûre réflexion, c’était la promesse qu’Úrsúla avait faite le jour où elle avait pris ses fonctions qui avait provoqué sa perte. (…) Elle avait promis de tout mettre en œuvre pour obtenir des informations, et elle avait pris la main de la femme qui la lui avait serrée avec force, la regardant doit dans les yeux et remerciant Dieu que le nouveau ministre de l’Intérieur soit une femme. » En Islande comme ailleurs, le pouvoir n’est-il pas domaine essentiellement masculin ? Sans doute l’un des meilleurs romans policiers en provenance des Pays nordiques de l’année.

 

* Lilja Sigurðardóttir, Trahison (Svik, 2018), trad. Jean-Christophe Salaün, Métailié (Noir), 2020

 

 

 

Froid comme l’enfer

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Aurora exerce la profession d’enquêtrice financière en Grande-Bretagne. Elle traque les fraudeurs du fisc et encaisse de façon peu légale sa rétribution lorsqu’elle les démasque. « Généralement, elle disait qu’elle travaillait comme comptable (…). Les gens avaient du mal à comprendre ce qu’elle faisait en vérité, le monde des paradis fiscaux et des escroqueries était trop lointain, trop compliqué. » Voilà que sa sœur Ísafold, restée en Islande, disparaît. Son compagnon ou ex-compagnon ne s’en inquiète guère (ce qui, étonnamment, n’intrigue pas la police, qui d’abord, et pendant plus d’un mois, ne perquisitionne pas son domicile). Aurora revient au pays de son enfance et interroge les personnes qui l’ont connue, relayée par Daniel, son « oncle », un policier dont le charme ne la laisse pas insensible. Froid comme l’enfer de Lilja Sigurðardóttir (auteure de la trilogie Reykjavík noir) est un roman rondement mené. Les pistes sont multiples et aucune n’est oubliée en chemin, tout se tient, bien que le lecteur puisse avoir l’impression que tout est un peu trop bien construit. La fin laisse augurer d’autres enquêtes avec ce personnage, Aurora, « pas assez fluette pour devenir artiste », inédite dans le genre du roman policier.

* Lilja Sigurðardóttir, Froid comme l’enfer (Helköld sól, 2019), trad. Jean-Christophe Salaün, Métailié (Noir), 2022

 

Rouge comme la mer

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« La note l’attendait sur la table de la cuisine. Une simple feuille A4 imprimée. » Qui lui signifie que sa femme a été enlevée et qu’il doit verser une grosse rançon pour la revoir. « Nous ne lui voulons aucun mal, mais si vous contactez la police ou si vous refusez de payer, nous n’hésiterons pas à la tuer. » Flosi dirige une prospère entreprise de jardinage, une dizaine d’employés et un chiffre d’affaires conséquent. La police est avisée, l’interroge. Il déclare ne pas comprendre. Évidemment, il n’est pas aussi innocent qu’il le prétend, blanchissant de l’argent pour la mafia russe. Dans Rouge comme la mer, le lecteur retrouve les personnages de Daníel, policier au grand cœur (« ...il semblait capable de compassion envers tout le monde, y compris les emmerdeurs invétérés »), et d’Aurora, enquêtrice pour des délits financiers, déjà présents dans Froid comme l’enfer. Plus d’autres, comme Helena, policière adepte de rencontres homosexuelles via les réseaux sociaux. De nouveau, l’enquête est bien expédiée, rien n’est vraiment crédible mais les personnages emportent l’adhésion. « Tout au fond de lui persistait un léger doute, l’idée qu’il fallait se méfier des apparences... (…) Cette minuscule incertitude qui piquait, rongeait, agaçait. » Ce deuxième volume de ce qui est présenté comme une trilogie relève plus du whodunit que de l’enquête collective à caractère sociale qui caractérise le roman policier nordique. Classique dans la forme plus que dans le choix de ses héros et héroïnes. Sa lecture est un voyage au quotidien dans l’Islande, avec un luxe de détails. Presque enthousiasmant.

* Lilja Sigurðardóttir, Rouge comme la mer (Blóðrauður sjór, 2020), trad. Jean-Christophe Salaün, Métailié (Noir), 2024

Le Trou

Le trou

Un homme est retrouvé mort, pendu, dans un haut lieu de l’histoire islandaise, le « rocher de la Potence » dans la péninsule d’Álftanes. Un suicide ? L’hypothèse ne résiste pas à l’examen du corps, observe Lína, jeune stagiaire de la police plutôt compétente : une feuille avec un message était en effet fixée par un clou sur son torse, mais le vent l’a déchirée, il n’en reste qu’un morceau qui n’éclaire pas les enquêteurs. Peu après, Freya, psychologue pour enfants, pénètre dans un luxueux appartement de Reykjavík, où un garçonnet de quatre ans semble avoir été abandonné. Elle n’a guère le temps d’en apprendre plus, que Huldar, officier de police amoureux d’elle (cf. les volumes précédents avec ces mêmes personnages : ADN, Succion, Absolution), débarque, appelé par les voisins. « Tout est bizarre dans cette histoire », reconnaît d’emblée le policier lorsqu’il en discute avec ses collègues au commissariat. L’appartement est très propre, méthodiquement rangé, rien n’indique que quelqu’un vivait là. Où sont passés les parents de l’enfant ? Toutes les pistes, dans la première moitié du roman, tournent court. « Il y avait quelque chose qui ne collait pas. Non, rectifia-t-il. Rien ne collait, absolument rien. » Il faut vraiment avancer dans la lecture pour qu’un progrès soit enfin signalé et qu’alors, les événements s’emballent. Les explications surgissent, Yrsa Sigurðardóttir en fournit pour toutes les questions que le lecteur peut se poser, pas toujours convaincantes mais n’est-ce pas le propre du genre que de laisser quelques zones d’ombre ? Le Trou est un bon roman policier, avec des personnages correctement incarnés et une intrigue qui, sans être des plus originales, se tient. Il est vrai que Yrsa Sigurðardóttir n’en est pas à son premier volume bien mené.

* Yrsa Sigurðardóttir, Le Trou (Gatið, 2017), trad. Catherine Mercy & Véronique Mercy, Actes sud (Actes noirs), 2022

 

Indésirable

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Les lecteurs français connaissent Yrsa Sigurðardottir avec trois titres, trois très bons romans, publiés chez Anne Carrière. Le quatrième est publié par Actes sud : Indésirable. Cette fois-ci, encore plus que dans les précédents romans, Yrsa Sigurðard?ttir joue et avec le genre policier et avec le genre fantastique. Employé du Bureau des commissions d’enquêtes dont la réputation est « assez médiocre », Óðinn Hafsteinsson est amené à faire des recherches sur un foyer éducatif nommé Krókur, réservé aux adolescents et fermé depuis des années. Y aurait-il eu là des cas de maltraitance jamais signalés ? Plus Óðinn avance dans son enquête, plus celle-ci semble se refermer autour de lui, comme s’il en était l’un des protagonistes. Il est vrai qu’en Islande, pays d’à peine 300 000 habitants, « tout le monde est cousin de tout le monde ». Le récit est habilement mené, l’intrigue oppressante ; quant aux pistes, elles sont multiples. « Tant pis pour la justice » peut, comme Óðinn, se dire le lecteur à l’issue de ce roman dont le titre ne prend son sens que dans les toutes dernières lignes.

 

* Yrsa Sigurðardottir, Indésirable (Kuldi, 2012), trad. Catherine Mercy, Actes sud (Actes noirs), 2016

Succion

D’abord, plusieurs enquêtes se croisent dans ce roman de Yrsa Sigurðardóttir, Succion, qui fait suite à ADN. Vaka, une fillette, disparaît : on apprend ensuite qu’elle a été violée et assassinée par un certain Jón Jónsson. Quand celui-ci est libéré de prison, des meurtres sont commis – par lui ? en lien avec lui ? Rétrogradé, suite à diverses erreurs professionnelles, au rang de simple policier, Huldar mène l’enquête en marge de sa hiérarchie ; il est assistée par Freyja, psychologue pour enfants, avec laquelle il avait déjà travaillé (cf. ADN) et dont il est amoureux, ce qui ne l’empêche pas d’entamer une relation avec Erla, sa chef. « Il était libre de faire ce qu’il voulait avec qui il voulait. Il n’y avait rien entre eux. Elle avait eu envie de coucher avec lui après avoir bu, rien de plus. » L’intrigue avance à un bon rythme, tout est plausible ou presque. Les personnages principaux brillent de modestie. « À ma place tu aurais fait la même chose. Ça ne fait aucun doute », lance ainsi la personne présumée coupable à Huldar. Succion n’est pas le premier roman de Yrsa Sigurðardóttir publié en français. Comme les autres, il est très agréable à lire et s’inscrit avec force dans la littérature islandaise contemporaine, pas seulement policière.

 

* Yrsa Sigurðardóttir, Succion (Sogid, 2015), trad. Catherine Mercy et Véronique Mercy, Actes sud (Actes noirs), 2019

 

ADN

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ADN : Elísa Bjarnardóttir est une jeune femme que la police a retrouvée assassinée de manière sordide dans sa chambre. Son mari était en voyage à l’étranger. Margrét, sa fille de sept ans, a assisté au crime, caché sous le lit de sa mère, mais elle refuse de parler, si ce n’est pour dire que l’homme était « noir ». Dans le même temps, de mystérieuses suites de chiffres circulent sur les réseaux des cibistes. Quel rapport ? Avec ce roman situé à Reykjavík, ADN, Yrsa Sigurðardóttir livre de nouveau une enquête très élaborée, centrée sur la génétique propre à l’île : peu de sang neuf pendant longtemps et des apparentements en grands nombres. Le résultat ? Ce roman, par exemple, peut-être le meilleur de l’écrivaine parmi les cinq d’elle traduits en français, avec deux personnages donnés comme récurrents, le policier Huldar et Freya, la psychologue pour enfants.

 

* Yrsa Sigurðardóttir, ADN (DNA, 2014), trad. Catherine Mercy, Actes sud (Actes noirs), 2018

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La Poupée

Après, se remémore Huldar, avoir renoncé à devenir marin à cause du mal de mer et appris brièvement la menuiserie, le voici qui exerce la profession de policier à Reykjavík. Il apparaît dans les quatre volumes précédents de Yrsa Sigurðardóttir, avec Freya, psychologue pour enfants. À présent, dans La Poupée, tous deux unissent leurs efforts pour enquêter sur l’accusation de pédophilie, ou plus exactement d’« éphébophilie », qui vise l’animateur d’un foyer pour jeunes. Rósa, une jeune fille qui pourrait témoigner, semble avoir une fois de plus fugué. Dans le même temps, deux chaussures de sport différentes sont retrouvées en pleine mer, au large de la capitale, avec des os à l’intérieur. Puis un sans-abri est assassiné dans le container où il s’était installé. Vendait-il de la drogue ? Rósa serait-elle liée à ces différentes affaires ? Jusque-là bien construit, ce roman devient bien difficile à suivre, vers la fin, quand l’auteure décide de faire converger toutes les pistes qui n’avançaient pas. Huldar expose alors qui a fait quoi, un chapitre ensuite est nécessaire pour préciser les multiples détails qui n’entraient pas dans les cases. Le lecteur peut être sceptique, voire déçu, de cette solution à la whodunit.

* Yrsa Sigurðardóttir, La Poupée (Brúðan, 2018), trad. Catherine Mercy & Véronique Mercy, Actes sud (Actes noirs), 2023

Le Clan Snæberg

Le clan snaeberg

Dans ce roman, Le Clan Snæberg, signé Eva Björg Ægisdóttir, les divers et assez nombreux personnages sont présentés un à un. L’action ? Une famille islandaise très réputée se réunit dans un hôtel à l’architecture moderne, spécialement retenu pour fêter le centenaire de la naissance du grand-père, fondateur de leur fortune. « Les Snæberg font partie des gens les plus riches et influents d’Islande », « une famille qui ne manque visiblement pas d’argent » mais sur laquelle, paradoxalement, le lecteur sait peu de choses (personnages, de fait, assez peu consistants). Tous se supportent, d’ordinaire, sans forcément s’apprécier. « Pour bien les comprendre, il faut s’imaginer un troupeau d’hippopotames se baignant dans une mare trop étroite ; ils ne cessent de se rentrer dedans. » Un corps est découvert au pied d’une falaise, on n’apprendra son identité qu’à la fin du volume. La police enquête – en l’occurrence Sævar et Hördur, modestes héros récurrents. Quasi huis-clos classique avec de lourds secrets de famille enfin révélés, Le Clan Snæberg (après Les Garçons qui brûlent, Les Filles qui mentent et Elma) n’est pas un roman destiné aux lecteurs exigeants. Facile à lire, il délasse, les pages se tournent vite, tout s’explique – et après ?

* Eva Björg Ægisdóttir, Le Clan Snæberg (Þú sérð mig ekki, 2021), trad. de l’islandais Jean-Christophe Salaün, La Martinière (Noir), 2024

Les Filles qui mentent

Les filles qui mentent

« Jamais les contrées froides et changeantes de l’Islande n’avaient abrité de révélations aussi troublantes », annonce la quatrième de couverture de ce nouveau roman de Eva Björg Ægisdóttir, Les Filles qui mentent. Pas mal, dans le genre clichés ! Heureusement, le roman est plus intéressant. L’Islande, le pays le plus sûr au monde, voit les attaques au fusil et au couteau augmenter depuis quelques années. Faut-il envisager la disparition de Maríanna, hôtesse d’accueil dans une société de construction, comme un meurtre ? La police avait d’abord opté pour un suicide mais la découverte du corps au fond d’une crevasse les persuade qu’elle ne s’est pas donnée la mort. Maríanna a été assassinée, en dépit des quelques mots annonçant son suicide retrouvés par sa fille, Hekla. « La seule chose à faire, c’est de reprendre l’enquête à zéro », résume Hördur, policier au commissariat d’Akranes, en accord avec ses collègues Sævar et Elma. « On épluche tous les documents qu’on a sous la main et on interroge de nouveau l’entourage. On recommence avec un regard neuf sur cette affaire. Il y a forcément quelque chose qui nous a échappé. » Les liens familiaux expliquent bien des choses, comme souvent en Islande. Succédant à Elma, Les Filles qui mentent est un roman policier qui se laisse dévorer, sans grande surprise mais c’est aussi l’occasion d’une visite dans l’Islande contemporaine. Avec une coupable qui n’en est peut-être pas une, le doute est permis. « C’est elle qui aurait dû pourrir pendant des mois dans un champ de lave. Les filles qui mentent ne méritent pas mieux. »

* Eva Björg Ægisdóttir, Les Filles qui mentent (Stelpur sem ljúga, 2019), trad. Jean-Christophe Salaün, La Martinière (Noir), 2022

Elma

Elma

Elma est policière et, après avoir exercé à Reykjavík et à la suite d’une rupture amoureuse, revient à Akranes, plus au nord, sa ville natale. La commune compte 7000 habitants, tout le monde se connaît plus ou moins. Un jour, une femme est retrouvée morte au pied de l’ancien phare. Avec ses collègues, notamment Hördur, le commissaire qui ne veut froisser personne, et Sævar, bel homme du même âge qu’elle, Elma est chargée de l’enquête. Dans cette petite société repliée sur elle-même, les secrets finissent par s’éventer, et les individus les mieux placés socialement ne sont pas à l’abri des révélations, comme va le découvrir Elma et comme la prévient Hördur à son arrvée : « Bien entendu, tu ne retrouveras pas ici les équipements et le rythme trépidant de la capitale, mais je te promets que malgré son allure de bourgade tranquille, Akranes te donnera du fil à retordre. Cette ville cache bien son jeu : tu ne resteras pas à te tourner les pouces entre quatre murs. ». Une histoire de maltraitance, d’abus sexuels et de secrets qui remontent, qui bouleversent la vie des uns et des autres. Signé Eva Björg Ægisdóttir (née en 1988 à Akranes), Elma est un roman policier assez classique, à énigme, pour passer le temps, traduit, hélas, de l’anglais bien qu’écrit en islandais.

* Eva Björg Ægisdóttir, Elma (Marrid í stiganum, 2018), trad. de la version anglaise, d’après l’islandais, Ombeline Marchon, La Martinière (Noir), 2021

 

Les Garçons qui brûlent

Les garcons qui brulent

Après Elma et Les Filles qui mentent, voici Les Garçons qui brûlent de l’auteure islandaise Eva Björg Ægisdóttir. Dans la petite ville d’Akranes, un incendie ravage une maison, tuant, apparemment, un jeune homme dans son sommeil. Ou n’était-il pas déjà mort avant ? Quelque mois plus tôt, une jeune fille au pair a disparu. « Elle se rappelait bien son arrivée à Akranes (…). Elle était alors si enthousiaste. Unnar et Laufey lui semblaient être le couple parfait, des gens quelle aurait aimé avoir pour parents. » Ces événements sont-ils liés ? C’est ce que pensent Elma et Hördur, collègues de la brigade criminelle, âgés de la trentaine, qui mènent l’enquête. Mais le mutisme est de rigueur chez les diverses personnes, jeunes et moins jeunes, qu’ils interrogent et quand ils obtiennent des réponses, tout n’est pas à croire sur parole. Les Garçons qui brûlent est un roman policier de facture classique, avec une foule de personnages secondaires et nombre de femmes mères ou enceintes. Sa lecture est agréable en dépit des banalités énoncées au fil des pages, comme ces pensées de la policière Elma : « L’une des choses qu’on lui avait enseignées à l’école de police, c’était d’adopter un regard aussi neutre que possible sur les éléments qui se présentaient à elle. Cela signifiait ne rien considérer comme acquis, porter un œil critique sur tout et tout le monde. » L’enquête avance, bien que les fausses pistes ne manquent pas. Les Garçons qui brûlent est plutôt un bon roman d’investigation. Inutile de chercher plus loin.

* Eva Björg Ægisdóttir, Les Garçons qui brûlent (Næturskuggar, 2020), trad. de l’islandais Jean-Christophe Salaün, La Martinière (Noir), 2023