Société

Les Finlandais

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« Comment peut-on être Finlandais ? » s’interroge Jean-Pierre Frigo dans le volume, Les Finlandais, qu’il publie aux Ateliers Henry Dougier dans la collection « Lignes de vie d’un peuple ». « Spontanément, la Finlande incarne un pays de magie, de miracles, une autre planète. » Sa présentation se veut complète mais nous laisse quelque peu sur notre faim. Si l’économie est présentée assez longuement, avec plusieurs chefs d’entreprises interviewés et les principaux noms de l’industrie énumérés, le domaine culturel est peu abordé. C’est dommage car la littérature finnoise compte de grands noms, outre Mika Waltari, très connu en France, et Arto Paasilinna : pensons à Juhani Aho, par exemple, Bo Carpelan, Frans Eemil Sillipää (prix Nobel de littérature en 1939), Väinö Linna (dont les trois volumes de Ici, sous l’étoile polaire, classique contemporain, sont disponibles en France depuis peu), Matti Yrjänä Joensuu (un des premiers auteurs nordiques à être publié dans la Série noire), Zacharias Topelius… Ou encore, aujourd’hui, Leena Sander ou Sofie Oksanen. Le nom de Tove Jansson, qui a créé les Moumine, n’est mentionné qu’une fois. Quant à Tommi Kinnunen, à qui la parole est ici donnée (au « professeur de finnois et de littérature » plus qu’à l’écrivain), le lecteur apprendra qu’il a signé un roman intitulé Le Carrefour de la RN4 ! Traduction mot à mot, qui, en l’occurrence, ne signifie rien. Ce bon roman a pour titre, en français, Là où se croisent quatre chemins (Albin Michel, 2017), plus proche du texte. Quant à la musique, elle ne se réduit pas à Jan Sibelius et le tango, en tant que genre populaire, n’est pas en reste en Finlande. Ce n’est pas pour rien qu’existe depuis des années l’excellent label Finlandia qui permet de découvrir la créativité des Finlandais, entre autres, en musique contemporaine. Les Finlandais de Jean-Pierre Frigo manque son but, nous semble-t-il, et n’offre qu’une image superficielle de la Finlande, sauf peut-être lorsqu’il met en avant (ou s’y exerce par le biais d’une personne interrogée) certains traits d’une personnalité qui serait commune aux habitants de ce pays : « Il est d’usage de rester silencieux pendant que l’interlocuteur parle, de le laisser terminer son intervention et même, éventuellement, de marquer une petite pause pour s’assurer que la personne a bien terminé avant de soi-même reprendre la parole. » (Heikki Cantell, juriste).

 

* Jean-Pierre Frigo, Les Finlandais, Ateliers Henry Dougier (Lignes de vie d’un peuple), 2017

À la recherche du sens perdu

A la recherche du sens perdu

« Plusieurs voies peuvent mener à une vie qui a plus de sens. Mais, sur le plan général, les deux voies incontournables sont la connexion à soi-même et la connexion aux autres. » Si Frank Martela (né en Finlande en 1981) commence son essai, À la recherche du sens perdu (sous-titré « Petit précis des grands dilemmes philosophiques »), en prétendant chercher « le sens de la vie », il en vient vite à préférer obtenir « le sens de sa vie ». Chercheur en psychologie, chercheur interdisciplinaire également et philosophe, il se lance ici dans un défi de taille. La vie n’a pas de sens, convient-il, mais notre vie individuelle peut en posséder un, à chacun d’entre nous de le dénicher. « Le bonheur n’est qu’une impression », argue-t-il encore. « ...La culture occidentale est de moins en moins capable d’apporter une réponse satisfaisante à l’inévitable ‘pourquoi ?’ » Le consumérisme de l’époque ne facilite pas l’exercice. Frank Martela offre dans cet ouvrage des pistes de réflexion. Au moins ne prend-il pas ses lecteurs pour des imbéciles. « ...Il est difficile de renoncer au bonheur en tant qu’objectif parce que notre culture est pleine de messages qui nous rappellent que nous devons être heureux. Il suffit d’allumer la télévision (…) pour voir toute une industrie de gens souriants, beaux et en bonne santé qui vendent du bonheur sous emballage. » Ce bonheur-là est factice, plaide-t-il, et n’apporte rien. Mieux vaut rechercher des moments heureux, fugaces peut-être et cependant profonds. Terminons cette critique par cette plaisanterie, qu’il cite : « On raconte une vieille blague qui dit qu’un Finlandais introverti regarde ses chaussures quand il vous parle et qu’un Finlandais extraverti regarde les vôtres. » Un livre loin du langage de gourou que l’on trouve souvent sur ce thème, le « développement personnel ». Intéressant, donc, mais qui demande d’autres développements.

* Frank Martela, À la recherche du sens perdu (A Wonderful life, 2020), trad. de l’anglais Danielle Lafarge, Alisio, 2021

 

Une Jupe trop courte/Récits de la cuisine

Une jupe trop courte recits de la cuisine

Il y a des livres dont on a envie de conseiller la lecture autour de soi et notamment aux plus jeunes. Comme ce petit volume de Sofi Oksanen, Une Jupe trop courte/Récits de la cuisine. Composé de poèmes et de courts textes, il recense différents cas de violence masculine contre les femmes, rappelant que la Finlande n’est pas épargnée par ce fléau. Sofi Oksanen puise ses exemples dans la vie quotidienne : cette femme qui devine qu’en dépit de ses efforts pour se débarrasser d’un homme agressif, « ça marchera pas/je sais que ça marchera pas/je le sais déjà » ; telle autre qui surprend son compagnon à cracher derrière elle, dans l’eau de son bain ou dans son café... « Je pleurais tout le temps/et le juge ne me croit pas/la police ne me croit pas/personne ne me croit/pas même mes proches/et bientôt moi non plus ». Ou encore : « Je repense à cette parente qui disait toujours que le plus important chez un mari, c’est qu’il ne frappe pas. » Ce petit livre résulte d’un projet de l’écrivaine Sofi Oksanen et de la compositrice Maija Kaunismaa, une tournée finlandaise des deux artistes en 2011 en faveur de la lutte « contre les violences intrafamiliales en Finlande ». Inutile de préciser que ce pays (l’un des premiers, faut-il le rappeler, en nombre d’armes par habitant, après les États-Unis et le Yémen ; les autres pays nordiques ne sont pas mal, si l’on peut dire, placés non plus) n’est pas le seul concerné par ce phénomène ancestral et toujours pas éradiqué. Prévenir les jeunes générations, comme elles le font avec ces textes à fleur de peau, n’est vraiment pas du temps perdu.

* Sofi Oksanen, Une Jupe trop courte/Récits de la cuisine (Liian lyhyt hame – Kertomuksia keittiösta, 2011), trad. Sébastien Cagnoli, Points (Inédit), 2021

 

Les Finlandais sont des gens heureux

Après les Danois avec le « hygge », les Suédois avec le « lagom », voici donc les Finlandais avec le « sisu ». Les philosophies qui n’en sont pas des Pays du Nord continuent de séduire les Français, individus stressés, dit-on, et plutôt enclins au pessimisme. Mâtinée d’écologie, de bouddhisme, de new âge et... de ce que vous voulez d’autre, ces philosophies du quotidien ne font de mal à personne. « À ma grande surprise (…), la natation hivernale a complètement changé ma vie. Elle m’a servi, au fil du temps, de remède naturel aux épisodes dépressifs accablants dont je souffrais depuis l’enfance. Mes petits bains glacés, alliés à d’autres aspects du mode de vie nordique, m’ont aidée à trouver mon sisu, cette forme unique et spécifiquement finlandaise de résilience et de persévérance devant l’adversité », écrit Katja Pantzar dans Les Finlandais sont des gens heureux, sans craindre d’avouer sa grande naïveté : « J’ai appris (…) qu’un événement de vie traumatisant ou stressant, comme la fin d’une relation, la perte d’un emploi ou la mort d’un être cher, pouvait déclencher un épisode dépressif. » Tiens, tiens, voilà une info ! Et d’expliquer comment la relaxation s’acquiert grâce à des douches froides et que le « sisu de la nature » est à même de garantir une vie heureuse. Mais ce volume fourmille de bonnes idées, comme faire du vélo le plus souvent possible ou acheter des objets d’occasion plutôt que neufs. Katja Pantzar rappelle, en passant, que « les Finlandais sont les premiers emprunteurs de livres au monde : 67 millions de titres retirés chaque année dans le réseau des bibliothèques publiques. »

 

* Katja Pantzar, Les Finlandais sont des gens heureux (In search of courage, strength and happiness, the finish way, 2018), trad. de l’ang. Daniel Roche, Belfond (L’esprit d’ouverture), 2019