Arts

Alpha et Oméga

Alpha et omega

Edvard Munch (1863-1944) a peint un grand nombre de toiles (1789 tableaux, 18000 estampes, 7700 dessins et aquarelles...). Il a utilisé maintes techniques, dont la photographie, pour exprimer le monde tel qu’il le voyait. Et notamment l’écriture, puisque, durant une cure de désintoxication (d’octobre 1908 à mai 1909) dans la clinique de son ami le Dr Daniel Jacobson, psychiatre danois implanté à Copenhague, il écrit et illustre cette histoire, Alpha et Oméga. Une fable, plus justement, directement inspirée de la Bible : Alpha est Adam, le premier homme, et Oméga, Ève, la première femme. « Cette évocation amoureuse des premiers êtres humains reprend également le thème de sa pièce de théâtre La Cité de l’amour libre(1905) – l’utopie amoureuse et la trahison de la femme », explique P. Piteaux dans sa préface. L’ouvrage, qui aurait gagné à être de format plus grand, reprend également vingt-deux lithographies originales, plus une trentaine de croquis « préparatoires ou connexes », certains réalisés dès 1895 et clairement destinés à cette histoire ; plus une biographie conséquente et une bibliographie. À lire, en complément d’une visite au musée Munch d’Oslo, par exemple. Ou tout simplement pour passer un délicieux moment en compagnie d’une belle âme.

 

* Edvard Munch, Alpha et Oméga(Alfa og Omega), édition bilingue, trad. par l’auteur avec la collaboration de Sigurd Høst, revue et présentée par P. Piteaux, Ombres (Traits d’ombres), 2017

Mots de Munch

Mots de munch

C’est un beau petit livre qui nous est proposé là, Mots de Munch, pour accompagner l’exposition du célèbre peintre norvégien (1863-1944) au musée d’Orsay (19 septembre 2022 – 22 janvier 2023). Après la liste des grandes dates de la vie de Munch, ce sont ses paroles, certaines inédites, retrouvées dans des archives, qui sont données à réflexion, accompagnant ses toiles. « Un soir que je marchais en suivant un chemin – D’un côté se trouvait la ville et en dessous de moi le fjord. J’étais fatigué et malade – je me suis arrêté pour regarder le fjord – le soleil se couchait – les couleurs ont pris une teinte rouge – comme du sang. J’ai senti passer comme un cri à travers la nature – il m’a semblé entendre un cri – J’ai peint ce tableau – peint les nuages comme du vrai sang. – Les couleurs criaient – C’est devenu le tableau Le Cri dans La Frise de la vie. » Ainsi observées, ainsi décrites (en sachant qu’« expliquer un tableau est impossible » !), ses toiles se parent de significations nouvelles. Ses écrits, non négligeables en quantité et en qualité, éclairent sa démarche et attestent de sa modernité – qui résiste au temps. Classées en plusieurs rubriques, « Art et nature », « Norvège », « Introspection », « Tourments », « Amour » et « Existence », ses toiles et ses pensées se répondent et avancent de concert. Munch est l’un des plus grands peintres du tournant des XIXe et XXe siècles, il est aussi l’un des artistes majeurs du XXe siècle, l’acuité de sa vision sur le monde ne se dément pas. Une belle réussite, que ce livre d’un prix abordable (14,90 €), richement illustré de reproductions de toiles, que le petit format n’altère pas. Pour ne pas oublier que « l’art est notre cœur sanguinolent... »

* Edvard Munch, Mots de Munch, trad. Hélène Hervieu, Musée d’Orsay/RMN, 2022

Angoisses et désir selon Munch

Angoies et desir selon munch

Ce livre, Angoisses et désir selon Munch, s’intègre dans une collection d’œuvres de peintres appréhendées par des écrivains. La vie d’Edvard Munch (1863-1944) est bien connue, nombre d’ouvrages à caractère biographique la retracent. Mais celui-ci le fait par le biais d’un prisme bien particulier, les relations entre le peintre et les femmes. Polytechnicien, puis critique et historien de l’art, Marc Lenot (né en 1948) livre ici un volume qui peut constituer une première approche de l’œuvre de Munch. Le narrateur, le peintre lui-même, fait le portrait, comme il s’y exercera pour certaines avec son chevalet et ses pinceaux, des femmes qui ont compté pour lui. À commencer par sa mère, tuberculeuse, décédée alors qu’il n’avait que cinq ans, ou sa sœur, qu’il chérit mais qui demeure imprégnée de l’austérité religieuse et ne lui renvoie pas ses sentiments. Ses relations amoureuses sont pour la plupart turbulentes, il refuse de s’investir afin d’épargner sa créativité. « ...J’ai commencé à forger ma conviction qu’amour et art, femmes et tableaux ne sont pas vraiment compatibles. » Le point de vue de Marc Lenot est délicat. Donner une parole fictive à un personnage aussi exposé que Munch a pu l’être, c’est prendre beaucoup de risques – jusqu’à quel point la pensée développée ici a été la sienne ? Munch n’était pas Strindberg, dont il fut le contemporain et l’ami, pas Ibsen non plus. Il ne théorise pas – nulle haine viscérale et affectée des femmes chez lui (Strindberg) ni d’espoir de transformation du monde par leur biais (Ibsen), il vit plus ou moins douloureusement chaque rencontre nouvelle, laquelle fournira matière à l’une ou l’autre de ses toiles tourmentées. Elles le fascinent, elles l’effraient, il se trouve ridicule à leurs yeux. Le « fou », selon le message qu’il inscrivit sur sa peinture la plus célèbre, Le Cri, recherche leur compagnie autant qu’il s’en angoisse. Elles aiguisent son art, figurent dans l’ensemble de son œuvre. L’idéal, selon lui (ou l’auteur) ? « Une femme « droite et fière, stimulante et inspiratrice, excentrique et talentueuse, avec un désir inassouvissable d’accomplissement, le nec plus ultra de la femme moderne », peut-être, à l’instar de l’une de ses maîtresses. Ce livre se veut donc une analyse du ressort artistique de Munch. L’avis de son auteur. Un point de vue bien argumenté et de fait intéressant.

* Marc Lenot, Angoisses et désir selon Munch, Ateliers Henry Dougier, 2022

Edvard Munch, états d’âme

Edvard munch etats d ame

L’exposition consacrée à Edvard Munch au Musée d’Orsay (septembre 2022-janvier 2023) incite divers éditeurs à présenter l’œuvre du peintre norvégien au public français. « Le cri » n’est pas la seule toile dont se rassasier. Dans son livre, Edvard Munch, états d’âme, Claire Maingon, maître de conférences en histoire de l’art contemporain à l’université de Rouen et fondatrice et rédactrice en chef de la revue Sculptures, entend donner à voir un Munch « entre mélancolie et idée noires ». « L’œuvre de Munch est une fenêtre ouverte sur l’âme du peintre et sur le sentiment mélancolique qui accompagne la destinée humaine », écrit-elle ainsi. Ses toiles sont le reflet d’un individu dont le désarroi ne cesse d’enfler, dans une époque où la violence étatique ou sociale est sous-jacente et alors que lui-même est la proie de ses propres démons. « Il fait appel à ces régions fécondes, profondes et souvent douloureuses de l’esprit qui abritent à la fois nos souvenirs, nos regrets, nos peurs et nos émotions. Son art est, pour lui, une forme d’introspection. » Ce texte assez court posé, Claire Maingon présente une série de toiles, les incontournables de Munch peut-on dire – dans la mesure où elles ne sont pas toutes incontournables. Une visite à sa façon de l’expo, ou un catalogue d’exposition-bis. Pour faire un beau voyage dans l’œuvre attachante de l’un des plus grands peintres du XXe siècle.

* Claire Maingon, Edvard Munch, états d’âme, éd. des Falaises, 2022

Performance works : The big toe

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Si, comme moi, quelque chose vous échappe parfois dans les « performances artistiques », laissez-vous séduire tout de même par la beauté graphique du travail de Agnes Nedregård, par ses photographies qui forcément vous interpelleront. Dans The Big toe (ouvrage en anglais), elle relate dix années d’expériences avec son public et, par des photographies, des textes et des dessins, explique ses objectifs artistiques. Jouer avec ses gestes et son corps sur la spatialité, rendre complices les spectateurs de ses performances et les égarer, et finalement leur faire considérer autrement leur univers mental, voici ce qu’elle tente d’accomplir.

 

* Agnes Nedregård, Performance works : The big toe (en ang.), Dimanche rouge, 2015

Un Feu dans le ciel nordique

Un feu dans le ciel nordique le black metal en norvege 1991 1999 livre

La Norvège est l’un des pays dans lequel la musique black metal a trouvé le plus d’artistes et d’auditeurs. Bien que très controversée, elle constitue ici presque une institution. Signé Baptiste Pilo, musicologue et docteur de l’Université Rennes 2, ce livre, Un Feu dans le ciel nordique, est le fruit d’un travail universitaire, une thèse de doctorat soutenue à Rennes en 2020. « L’approche adoptée ici est historique et musicologique. » Sujet original, le black metal, « segment particulier des contre-cultures », « l’une des plus singulières aventures musicales de cette fin du XXe siècle » selon Luc Robène et Solveig Serre, auteurs de l’avant-propos, n’avait pas encore été traité. « Ce mouvement musical s’inscrit de fait », poursuivent-ils, « dans une généalogie des resémentisations de l’imaginaire du Nord. » Baptiste Pilo se penche sur la dernière décennie du XXe siècle, période particulièrement féconde en Scandinavie pour ce courant avec la naissance de dizaines de groupes. Il en recense les différentes tendances, note autour de quels thèmes elles s’articulent : paganisme, satanisme, « norvégianité », nationalisme, figures du Viking... Autrement dit contestation du christianisme, contre lequel les acteurs du black metal, qui se veulent les héritiers des Vikings et même de leurs ancêtres païens, s’estiment « en guerre ». « L’auteur souligne la dimension conservatrice du black metal, fondée sur un sentiment culturel de supériorité à partir de l’appartenance à un territoire et l’opposition à l’immigration », expliquent encore les deux signataires de l’avant-propos. Le black metal est musique de son temps, reflet des combats culturels et politiques menés par une frange, essentiellement jeune, voire adolescente, et masculine, quelque peu déclassée de la population (il y a évidemment un parallèle à faire avec les mouvements punk et skinhead). Une « contre-culture » volontairement provocatrice. Ses références sont celles de l’extrême droite violente, misogyne et raciste, et l’auteur, qui ne cherche pas du tout à le nier, en analyse les raisons. « Le christianisme est profondément implanté en Norvège (…). Dans ce contexte, se réclamer de Satan ou du satanisme revient à faire entendre une voix dissonante, un contre-discours. C’est également chercher à se distinguer dans une société façonnée par l’égalitarisme. » Il n’est pas nécessaire de se protéger les oreilles pour prendre connaissance de cet intéressant travail.

* Baptiste Pilo, Un Feu dans le ciel nordique (Le black metal en Norvège, 1991-1999), avant-propos Luc Robène & Solveig Serre, préface Gérôme Guibert, Riveneuve, 2022

Paysagiste par nature

Catalogue frits thaulow paysagiste par nature

Bien qu’il ait séjourné à différentes reprises en France, le peintre norvégien Frits Thaulow (1847-1906) est ici peu connu. Son exposition au musée Rodin de Paris, en 1994, était pourtant intitulée le « Norvégien français »,tant il est vrai que Thaulow a puisé une partie de son inspiration dans l’Hexagone (à Dieppe et en différents endroits de Normandie, en Bretagne, à Paris, à Abbeville, Montreuil-sur-Mer, Camiers…). D’abord peintre de marine, cousin d’Edvard Munch et beau-frère de Paul Gauguin (qui ne cessera de le jalouser), Frits Thaulow a voyagé de par le monde (en Europe et aux États-Unis) et a su représenter l’eau, la neige et la nuit, si caractéristiques de la nature norvégienne, grâce aux techniques de l’huile et du pastel. Jouissant, de son vivant, d’une vive reconnaissance (son ami August Strindberg l’encense), il a célébré comme nul autre des paysages et des scènes de rues, notamment de son pays natal. Volontiers nomade, anarchiste paisible, Frits Thaulow peut aussi être considéré comme précurseur d’une vision écologiste ou environnementaliste de l’art. « La quête du bien-être (un des fondamentaux de la social-démocratie norvégienne) est sous-jacente aux interrogations que se pose Frits Thaulow », note opportunément Frank Claustrat, commissaire scientifique de l’exposition, dans la biographie qu’il trace du peintre dans ce livre, Paysagiste par nature – qui constitue le catalogue de l’exposition que le musée des Beaux-arts de Caen lui a consacré en 2016 (du 16 avril au 26 septembre). Magnifique.

 

* Frits Thaulow, Paysagiste par nature, Snoeck/Musée des Beaux-arts de Caen, 2016