G-H

N’essuie jamais de larmes sans gants

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De Jonas Gardell, on trouvait ici trois romans (Et un jour de plus, Petit comique deviendra grand et Un Ovni entre en scène) publiés par Gaïa au début des années 2000. Trois ouvrages s’adressant plutôt aux grands ados ou aux jeunes adultes, pas inintéressants mais, selon nous, pas non plus follement enthousiasmants. N’essuie jamais de larmes sans gants est d’une tout autre dimension. Dans ce roman de près de 600 pages, Jonas Gardell (né en 1963) entreprend rien moins que de relater, dans la Suède de 1982 et des années qui suivent, l’apparition d’un mal terrible et encore inconnu dans la communauté homosexuelle. Quelque chose « comme une guerre en temps de paix. » Une série télévisée (trois épisodes), Snow, en a d’ailleurs été tirée. À travers le destin de deux personnages principaux, Rasmus et Benjamin, qui vont tomber amoureux l’un de l’autre, Jonas Gardell brosse avec une précision presque clinique, de manière romanesque mais sans exclure de temps en temps les chiffres de l’essayiste et les coups de gueule du pamphlétaire, le tableau de toute une société, avec, d’abord, son ignorance réelle ou feinte de la maladie, puis sa peur de la contagion (« N’essuie jamais de larmes sans gants… »). Au point d’accuser les homosexuels d’être des criminels potentiels. Ne serait-ce donc qu’« un énième baratin inventé par les mères la pudeur pour effrayer les pédés et les forcer à retourner dans le placard » ? interroge non sans bon sens l’inénarrable Paul, « folle » haut en couleurs et bienveillant envers les plus jeunes. Venant de milieux différents (les parents de Benjamin sont Témoins de Jéhovah et lui-même s’adonne au « service du champ », que les « profanes » appellent le porte-à-porte) mais appartenant à la classe moyenne, les deux protagonistes font connaissance à Stockholm, là où les homosexuels peuvent se rencontrer sans crainte d’être traités de « sales pédés ». Ceux qui profèrent ce genre d’injures « devraient avoir honte » mais en général la honte n’atteint que leurs victimes, remarque encore, comme en passant, l’auteur par la voix de l’un de ses personnages. Benjamin, Rasmus et d’autres forment une petite bande d’amis, que soude un sentiment de marginalisation ou même d’exclusion. Certains tombent malades et, trop longtemps, personne ne comprend la dangerosité du « cancer gay », cette épidémie qui semble frapper en priorité le milieu homosexuel. L’hécatombe causée par le sida commence et même dans un pays comme la Suède, elle laisse sans voix. Le livre de Jonas Gardell est extrêmement riche, souvent d’une lecture à la limite de l’insoutenable. Usant abondamment de flashes-back, l’écrivain se fait ici presque historien, contant la tragédie qui toucha une génération d’hommes qui aimaient les hommes, replaçant sans cesse son intrigue dans son contexte, faisant de la maladie non plus seulement une affaire personnelle mais une affaire sociale, voire politique, ce qui ne retire jamais à ses propos une once d’émotion.

 

* Jonas Gardell, N’essuie jamais de larmes sans gants (Torka aldrig tårar utan handskar, 2012-2013), trad. Jean-Baptiste Coursaud & Lena Grumbach, Gaïa, 2016

Dans la tête d’Alfred Nobel

Dans la tete d alfred nobel

« Parlons-en de cette infamie qu’est l’héritage. Le plus souvent, il va à des incapables et il finit toujours par encourager la paresse. » Cet avis explique, notamment, pourquoi Alfred Nobel préféra voir la fortune qu’il avait gagnée récompenser des individus capables dans leur domaine, plutôt que d’engraisser des parasites parce qu’ils auraient un lien de parenté avec lui. Cette histoire d’héritage est aujourd’hui bien peu à l’ordre du jour des discussions politiques et c’est dommage, Nobel fut, là aussi, un précurseur. Dany Geer entend tracer le portrait du père de la dynamite dans un roman (en français) rapide, quoi que documenté (mais, hélas, plein de fautes d’orthographe !), Dans la tête d’Alfred Nobel. Un livre de plus sur Nobel, pourquoi pas ? L’homme, en effet, fait partie de ces glorieux méconnus. Si son nom est connu de tous, sa personnalité, complexe et torturée, l’est beaucoup moins. Alfred Nobel se voulait pacifiste, dans un monde qui ne voyait comme solution aux différends entre nations que la guerre, et humaniste, persuadé que « la science et le progrès faciliteront à l’avenir la vie de tous les ouvriers ». Ses ambigüités, ses contradictions et ses doutes, mais aussi et surtout ses convictions, font de lui un personnage attachant, l’une des grandes consciences du XIXe siècle. En complément de cette lecture, rappelons l’intéressante correspondance échangée entre Alfred Nobel et son amie Bertha von Suttner, écrivaine et militante pacifiste qui joua un si grand rôle dans sa vie.

 

* Dany Geer, Dans la tête d’Alfred Nobel, Les Presses littéraires, 2017

* Edelgard Biedermann (édition établie et introduite par), Correspondance entre Alfred Nobel et Bertha von Suttner, Turquoise (Le temps des femmes), 2015

Les grandes aventures de Jan Guillou

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C’est une fresque sans équivalent qu’a commencé à livrer Jan Guillou (né en 1944) avec Les Ingénieurs du bout du monde. Ce premier volume d’une série baptisée Le Siècle des grandes aventures (qui comprendra combien de volumes ? trois ? quatre ? plus ?) met en scène trois frères qui, à la mort de leur père, quittent leur île, Osterøya, en Norvège, pour devenir apprentis dans une corderie à Bergen. Travailleurs, ingénieux, consciencieux, ils sont remarqués par une société caritative, qui décide de leur octroyer une bourse à l’étranger – en échange, ils s’engagent, à leur retour, à participer à la construction de la ligne de chemin de fer Oslo-Bergen. En 1901, ils sortent tous trois diplômés de l’université de Dresde. Leurs parcours divergent à ce moment-là. Lauritz rentre en Norvège accomplir ce qui est attendu de lui ; Oscar, lui, apporte la modernité ferroviaire en Afrique, assistant, impuissant, aux massacres du colonialisme ; tandis que Sverre gagne Londres, où il tombe amoureux d’un lord et s’exerce à la peinture. Ce sont les joies et les déconvenues de ce dernier que Jan Guillou retrace dans le deuxième volume, Les Dandys de Manningham, montrant combien l’homosexualité, au pays d’Oscar Wilde, était traitée avec peu de considération, même dans les milieux artistiques. Passionnant, il n’y a pas d’autre mot pour résumer ces deux titres. Le premier, notamment, nous montre le travail de titan mené par des ingénieurs qui entendaient, avec raison ou non, apporter le progrès dans des territoires plutôt hostiles. Car les avancées technologiques semblaient pouvoir modifier la vie humaine – en mieux, évidemment. Le progrès était synonyme de travail plus facile, de production plus importante ; et aussi, aux yeux de beaucoup, d’égalité et de justice (cf. le discours du doyen de l’université de Dresde, à l’issue des examens : grâce au progrès, les guerres cesseraient bientôt !). Or, le « progrès » a surtout consisté en bombardements aériens, en camps de concentration, en chambres à gaz, en bombes atomiques, en surveillance généralisée, en… Le profit que l’homme en a tiré est assez relatif ! Tout, dans ces deux romans de Jan Guillou, connu en Suède comme un journaliste politique et d’investigation, tout est décrit avec un luxe de détails. On les imagine transposés au cinéma, quelque chose de grandiose pourrait être réalisé. C’est forcément avec impatience que nous attendons la suite (le deuxième volume s’achève en 1919). « …En suivant les péripéties de mes héros à travers l’Europe du XXe siècle, nous ne pouvons qu’être confrontés aux questions centrales posées par la littérature. Être humain, qu’est-ce que cela signifie ? Comment sommes-nous devenus ce que nous sommes aujourd’hui ? (…) Prenons le large pour l’aventure. » (Jan Guillou)

Soulignons ici le remarquable travail de traduction de Philippe Bouquet, qui nous a déjà offert plusieurs titres de Jan Guillou (dont l’excellent La Fabrique de violence, par ailleurs adapté au théâtre sous le titre éponyme et disponible chez L’Élan, et la Trilogie d’Arn le templier – quatre volumes, en fait, chez Agone).

 

Les Ingénieurs du bout du monde (Brobyggarna, 2011), trad. Philippe Bouquet, Actes sud, 2013

Les Dandys de Manningham (Dandy, 2012), trad. Philippe Bouquet, Actes sud, 2014

Entre rouge et noir

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Entre rouge et noir est le troisième volume des « grandes aventures » du XXe siècle de Jan Guillou. Les deux couleurs dont il est ici question ne sont pas celles de l’anarchie mais celles du drapeau nazi. Après les chantiers ferroviaires d’envergure en Afrique et en Norvège (premier volume), l’art moderne, l’homosexualité et la libération des mœurs en Angleterre et en Europe (deuxième volume), voici la politique, sur le continent européen, avec l’instauration des totalitarismes, notamment du nazisme. Lauritz, Oscar et Sverre, les trois frères, se sont retrouvés presque par hasard à Berlin et ont chacun entamé une nouvelle vie. Tous trois trouvaient « très stimulant de participer à l’édification de l’avenir » car « le XXe siècle serait celui des grands progrès techniques ». Lauritz demeure à Stockholm, Sverre et Oscar vivent à Berlin. L’Allemagne a été vaincue mais, économiquement parlant, semble devoir vite se remettre d’aplomb. La situation politique les laisse d’abord indifférents, même s’ils réprouvent tous les trois, pour différentes raisons, la montée de l’intolérance et de l’antisémitisme. Ingeborg et Christa, respectivement épouses des deux premiers frères, adhèrent, quant à elles, aux idéaux démocratiques mis à mal par les nouveaux dirigeants allemands, la social-démocratie pour Ingeborg, le communisme pour Christa. Les projets ne manquent pas pour les trois frères, qui vivent dans l’aisance en dépit de l’instabilité politique, mais la situation de l’Allemagne est de jour en jour plus inquiétante et il devient impossible de fermer les yeux. Ainsi, Oscar ne peut que réprouver l’adhésion de son neveu Harald, qui vit sous son toit, au nazisme. Maints écrivains ont dépeint cette époque ; Jan Guillou, lui, l’inscrit dans une période allant de la fin du XIXe siècle aux lendemains de la Deuxième Guerre mondiale. Outre la politique, il y mêle les transformations de l’industrie, innombrables, et l’importante et rapide évolution de l’art, pénétrant ainsi dans la vie quotidienne d’une fratrie attachée tant à sa Norvège natale qu’à l’idée, alors nouvelle, de cosmopolitisme. Ce troisième volume laisse le lecteur sur sa faim puisqu’il s’achève par l’invasion de la Pologne par les troupes allemandes et donc par le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale. Les trois frères ont réagi de manière assez similaire aux événements : sans approuver le nazisme mais sans non plus le condamner ouvertement, intérêts économiques et surtout absence de réflexion politique obligent : incapacité de saisir le phénomène du nazisme avec quelque recul, d’en discerner ses spécificités (dont le racisme et la violence), autrement dit la nocivité intrinsèque ; et, de fait, d’en tirer des conclusions et de prendre concrètement position contre lui. Quelles leçons tirées, par exemple, lorsque Christa est agressée par des SA lors d’un meeting où elle s’exprime en faveur de la contraception féminine ? Elle est rouée de coups et… Rien ! Si dans leur vie antérieure (avant 1919) les trois frères avaient rivalisé de courage, leur attitude à présent frise souvent la lâcheté. Le lecteur ne peut qu’être très curieux de connaître la suite.

 

* Jan Guillou, Entre rouge et noir (Mellan rött och svart, 2013), trad. Philippe Bouquet, Actes sud, 2015

Les Yeux ailleurs

9782330066550

Suède, 1940. L’architecte Lauritz Lauritzen surveille la construction de ce qui sera le plus long pont du monde, à Linde, près de Kramfors, dans le Ångermanland. Après les péripéties racontées dans les trois volumes précédents du Siècle des grandes aventures(Les Ingénieurs du bout du mondeLes Dandys de Manningham et Entre rouge et noir), il vit aujourd’hui à Saltstjöbaden, aux portes de Stockholm, et jouit de bons revenus et d’un statut social privilégié. N’a-t-il pas été ami avec le fameux banquier Wallenberg, avec qui il a pratiqué la frégate ? La guerre l’inquiète mais puisque la Suède sociale-démocrate est neutre... Il ne sait trop que penser. Comme son frère Oscar, cet humaniste bourgeois est convaincu que « l’éventualité d’une guerre avec l’Allemagne n’en restait pas moins la pire de toutes ». Une alliance avec ces vaniteux d’Anglais est inenvisageable, même si, déplore-t-il, la plupart des Suédois la souhaitent. Dans l’immédiat, l’idéal, selon lui, serait une paix entre l’Allemagne et la Norvège, puis la victoire de l’Allemagne sur le reste du monde. Lauritz est ce que l’on appelle un honnête homme, pourtant son amour d’autrefois pour l’Allemagne, où avec ses frères il a fait ses études et rencontré sa femme, l’empêche de distinguer la nature réelle du nazisme. « Il était absurde et grotesque d’oser accuser l’Allemagne et les Allemands d’extermination systématique d’êtres humains jugé indésirables ! » Lauritz est pour l’ordre, mais un ordre qui respecte l’individu. Comme lorsqu’il vient en aide à sa logeuse, à Kramfors, que la banque veut chasser de chez elle parce qu’elle ne peut plus s’acquitter de ses remboursements – alors que son fils est mobilisé « pour la Suède » et ne contribue donc pas aux rentrées financières du foyer. Scène désopilante, où l’on voit les « sous-fifres de la banque » accueillir fraîchement Lauritz, qu’ils prennent pour un simple ouvrier, quand il vient plaider la cause de Madame (et non Mademoiselle, rectifie-t-il) Karlsson, avant de s’apercevoir de leur erreur et de l’inviter au restaurant. « Ce qu’il détestait le plus sur terre, c’étaient les gens qui crachaient sur ceux qui étaient en bas de l’échelle et adulaient ceux qui étaient en haut... » (La morgue des banquiers, huissiers et autres parasites a-t-elle disparu ?) Deux de ses enfants ont rejoint des camps opposés. Sous l’égide de Göring, Harald est devenu officier SS et prédit l’avènement du national-socialisme à court terme ; tandis que Johanne, elle, fait la liaison entre la Norvège résistante et les divers espions en poste en Suède, puis participe à des attentats sur le sol suédois. Ingeborg, son épouse d’origine allemande, présidente de la Croix-Rouge, approuve Johanne et veille à pratiquer la « solidarité » avec la Norvège occupée. Ainsi, pas de cadeau à Noël, mais de l’argent envoyé à Oslo. Il n’est pas contre. Pour lui qui tient à être « débarrassé (…) de toute discussion politique », l’Allemagne demeure l’Allemagne et lorsque Hitler ne sera plus là, tué ou destitué ou enfui, une certaine normalité se remettra en place. Les yeux ouverts ? Fermés ? Les yeux ailleurs. Quatrième titre de l’excellente série Le Siècle des grandes aventures (que l’on pourrait comparer, avec toutes les précautions nécessaires, aux Rougon-Macquartde Zola, compliment s’il en est), traduit d’une main de maître par l’infatigable Philippe Bouquet, ce roman semble étrangement d’actualité. Les questions de toutes sortes qu’il soulève ne se posent plus comme alors, quand les nazis faisaient régner la terreur sur une bonne partie de l’Europe, mais de nouveaux enjeux d’importance existent (le sort des réfugiés, par exemple, ou la non répartition des richesses, ou les changements climatiques...) et parmi nous se côtoient toujours ceux qui tentent d’ouvrir les yeux et ceux qui obstinément les ferment ou regardent ailleurs. « On ne voit que ce qu’on veut bien voir. Et inversement. » On ne peut qu’attendre impatiemment la suite.

 

* Jan Guillou, Les Yeux ailleurs (Le Siècle des grandes aventures, IV)(Att inte vilja se, 2014), trad. Philippe Bouquet, Actes sud, 2018

 

9782743660482

Père éperdu

« Après quatre mois de courriels acharnés et blessants, elle avait finalement appelé. La voix tremblante d’une violence contenue, elle avait dit que l’enfant voulait le voir... » Lui, le père, peut donc retrouver son enfant âgé de sept ans. Mais c’est comme s’il devait tout réapprendre – voir à présent le monde avec les yeux de ce jeune garçon. Daniel Gustafson (né en 1972, traducteur du hongrois et de l’anglais) livre ici un récit, plus qu’un roman, émouvant, qui entraîne le lecteur à Stockholm dans le quartier d’Odenplan, et notamment à l’intérieur de la superbe bibliothèque municipale, ou aux alentour du parc Vasa, de la Dalagatan. Passé et présent s’entrecroisent. « Il en est sûr maintenant, il lui faut immédiatement retourner à ce qu’il possède et cesser cette errance parmi les souvenirs et les ombres équivoques, ce rêve éveillé qui lui donne la nausée. » Où se trouve-t-il ? Des souvenirs du Kosovo où il officiait pour l’ONU lui reviennent, la violence était constamment sous-jacente. « Il y a des hommes qui aiment la saleté. D’autres qui aiment, disons, la saleté dans la saleté », lui explique-t-on : « ...les hommes sont capables de presque tout envers les autres hommes ». Ici, il ne reconnaît plus les visages, même ceux qui lui sont familiers, tout devient extrêmement compliqué, sa journée est « une suite d’imprévus ». Au moment de traverser la rue, il manque de se faire renverser, un adolescent le retient et l’emmène à l’hôpital. En poche, il a une paire de gants pour son fils, il doit les lui remettre, quelle épreuve qui n’en finit pas ! Père éperdu (le titre suédois, Odenplan, n’a pas de sens en français) nous donne à voir le désarroi total d’un homme pour qui les actes quotidiens – mener son enfant à l’école, faire les courses, aller boire un café dans un bar... – prennent une dimension démesurée et tragique. Une sorte de sur-place épique, comme l’amorce d’une réflexion sur le statut des pères. (Juste un mot sur la traduction : pourquoi écrire « la rue Hälsingegatan », « la rue Ertagatan », alors que « gatan » signifie « rue » ; ou « l’avenue Karlbergsvägen »..., etc. ? Et pourquoi le faire sans même que ce soit systématique ? Et pourquoi traduire certains noms de lieux et pas d’autres ?)

* Daniel Gustafsson, Père éperdu (Odenplan, 2019), trad. du suédois Jean-Baptiste Bardin, Rivages, 2023

Aphrodite et vieilles dentelles

Unknown 108

Âgées respectivement de 72 et de 79 ans, Elida et Tilda Svensson sont sœurs et depuis toujours vivent ensemble dans leur maison familiale de Scanie. Elles ne se sont jamais mariées et n’éprouvent pas le besoin de changer leur mode de vie, des plus simples. Mais quand un nouvel habitant s’installe à côté de chez elles et qu’il se montre fort sympathique, leur quotidien s’en trouve chamboulé. Les vieilles filles se coiffent, changent de robe, cuisinent de bons petits plats et l’invitent. Puis découvrent qu’il a inventé un engrais qui agit comme un véritable viagra chez les animaux. Et décident d’en fabriquer à leur tour et de gagner assez d’argent pour… installer « des water-closets » à l’intérieur de leur maison et ne plus avoir froid dans les toilettes au fond du jardin. Née en 1944 à Simrishamn, près du village où se situe l’action de Aphrodite et vieilles dentelles, Karin Brunk Holmqvist a exercé des métiers divers (assistante sociale, employée en maison d’arrêt, mannequin pour bikinis, magicienne, femme politique) avant de vivre de sa plume et d’être enfin auteure, aujourd’hui d’une dizaine de romans. Aphrodite et vielles dentelles (le titre suédois pourrait être L’Aphrodisiaque) est un livre drôle, sans prétention et pourtant plutôt subtil. Il est regrettable que l’éditeur le qualifie dans son catalogue de « feel-good » pour l’inscrire dans une tendance littéraire à la mode. Publié initialement, en Suède, en 1997, ce livre échappe à ce genre de classement. Il s’agit d’un bon roman, tout simplement.

 

* Karin Brunk Holmqvist, Aphrodite et vieilles dentelles (Potensgivarna, 1997), trad. Carine Bruy, Mirobole, 2016

Colza mécanique

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Ils sont deux : Albert et Henning Andersson, 68 et 73 ans. Deux frères qui vivent en marge du monde, dans le sud-est de la Scanie, plus précisément dans l’Österlen, à Onslunda. Ils se débrouillent, effectuent à l’occasion de menus travaux pour le châtelain qui les loge dans une bicoque. Ils ont du mal à comprendre comme le monde fonctionne, comme il évolue. Certaines choses les choquent. Comme l’ouverture d’un foyer pour femmes alcooliques dans la maison, juste à côté de chez eux, qui fut celle de leurs parents. Ils surveillent les travaux et les empreintes de leurs pas finissent par former un cercle dans le champ de colza qui jouxte leur maison. Il n’en faut pas plus pour que certains, relayés par les médias, voient là une piste d’atterrissage pour des vaisseaux spatiaux extraterrestres. « Quelques mois plus tôt, tout était calme. Les frères avaient déambulé dans la maison, bavardé sur le banc ou simplement savouré le silence. Le colza jaune avait poussé dru et il n’y avait eu personne ni aucune voiture en vue. Et soudain, l’enfer s’était abattu. La jeune femme, le centre de cure, et toute cette histoire de forage dans le champ. » Karin Brunk Holmqvist renoue avec les éléments présents dans Arsenic et vieilles dentelles, son premier roman traduit en français : même cadre, ce sud-est rural de la Scanie, même type de personnages, deux vieux bonhommes cette fois-ci, même événements badins ou familiers qui deviennent loufoques… Et, de nouveau, un plaisir de lecture.

 

* Karin Brunk Holmqvist, Colza mécanique (Rapsbaggarna, 2005), trad. Carine Bruy, Mirobole, 2017