Bandes dessinées

Les Savants, 2 : Uraniborg, 1594. La Bête de l’île

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S’inscrivant dans une série, Les Savants, ce volume, Uraniborg, 1594. La Bête de l’île, le deuxième, prend le château de Tycho Brahe (1546-1601) pour cadre. Situé sur l’île de Vaine (Hveen), face à Helsingør, dans le détroit de l’Öresund, il a coûté une somme folle au Danemark mais le roi Fredrik II refusait peu de choses à son célèbre astronome et astrologue. Le scénariste Luca Blengino (né en 1978 en Italie) et le dessinateur Stefano Carloni font se rencontrer ici Galileo Galilei, Johannes von Kepler et Tycho Brahe. Ce dernier prévient ainsi Galilée à son arrivée : « « Sur mon île se cache un tueur et j’ai bien l’intention de le débusquer et de me consacrer personnellement à sa condamnation au bûcher. (…) Mais d’après ce que l’on sait… il se pourrait que le meurtrier ne soit pas humain. » Quatre meurtres ont été commis, par une bête semble-t-il, mais il n’y a pas de loups ni d’ours sur l’île. Débute une enquête qui nous permet de visiter les recoins du château et de découvrir les rivalités qui existaient dans le petit monde des scientifiques de l’époque. « Un scientifique s’en tient aux faits. Il observe la réalité et ne tire de conclusions que d’elle », déclare Galilée lorsqu’il est interrogé sur l’avancée de l’enquête, procédant méthodiquement, à la manière d’un Sherlock Holmes avant la lettre, et ajoutant que « l’interprétation c’est le véritable métier de tout savant. » Loupe en main, Galilée scrute tout ce qui échappe à l’attention des habitants d’Uraniborg. « Bon sang, mais c’est bien sûr ! » s’exclame Kepler lorsque la vérité pointe, remerciant ainsi sans le vouloir Galilée pour sa perspicacité. Une BD divertissante, sur fond historique et, trop peu, scientifique.

 

* Luca Blengino/Stefano Carloni, Les Savants, 2 : Uraniborg, 1594. La Bête de l’île, Soleil, 2017

Les Danois

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C’est d’une idée qui vole ces temps-ci, qui revient ici ou là, que s’est emparé le dessinateur et scénariste Clarke (né à Liège en 1965), pour ce roman graphique, Les Danois. Copenhague, novembre 2017. L’action commence aujourd’hui et se prolonge au long de l’année 2018. Science-fiction ou anticipation, puisqu’ainsi le livre est présenté, au cadre quasi-contemporain, donc. Des couples d’origine étrangère donnent naissance à des enfants blonds aux yeux bleus. Les tests de paternité confirment que les pères sont bien ceux désignés par les mères, autrement dit des hommes bruns aux yeux noirs. Cette anomalie génétique est-elle imputable au gouvernement ? À des laboratoires pharmaceutiques ? Un complot ? La colère gronde, des émeutes éclatent. Nombre d’immigrés souhaitent quitter le pays, chose impossible faute de papiers en règles. Paradoxe : le Danemark qui ne souhaite plus accueillir d’immigrés refuse de laisser partir ceux qui sont présents sur son territoire. « Pour l’anecdote, il se trouve que les policiers en Belgique utilisent le terme ‘les Danois’ pour désigner les immigrés auteurs de cambriolage. Comme un ultime trait d’ironie… », relève l’auteur dans le livret publié par l’éditeur pour accompagner cette parution. Au-delà de l’intrigue proprement dite (qui pourrait se passer en d’autres endroits du globe), assez peu vraisemblable pensons-nous, ce livre pose l’intéressante question du métissage des peuples. Est-il inexorable, comme tout, à l’heure de la mondialisation, peut le laisser penser, ou doit-on le redouter, comme le beuglent les nationalistes en divers endroits de la planète (avec la théorie du « grand remplacement », par exemple, en France). S’il n’y avait plus, à terme, qu’une seule couleur de peau, le racisme et les diverses stigmatisations et ségrégations liées aux particularités physiques disparaitraient-ils ? Ou les questions dites d’identité afflueraient-elles ? Le racisme, au sens large, n’est pas qu’une histoire de peau : pour preuve, le sexisme, l’homophobie ou même l’antisémitisme. La fin de cet album nous semble quelque peu trop optimiste. Réserve qui ne nous empêche pas d’affirmer qu’il s’agit d’un bel ouvrage, graphiquement parlant, qui soulève des interrogations certes dans l’air du temps mais néanmoins intelligentes et pertinentes. Les réponses apportées ici ont au moins le mérite d’un certain pragmatisme et, surtout, de la bienveillance. Après tout, espérer que l’espèce humaine cessera un jour de s’entretuer n’est pas le plus sot des rêves.

 

* Clarke, Les Danois, Le Lombard, 2018

Ivalu

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Le vol du corbeau, dans les premières pages de l’album de bande dessinée Ivalu, de Morten Dürr (né en 1968, journaliste et auteur de livres pour enfants) et Lars Horneman (né en 1966, illustrateur), n’est pas sans évoquer certaines scènes de l’excellent dessin animé L’Enfant qui voulait être un ours. Bons augures, que la suite confirme. Groenland, de nos jours. La reine du Danemark vient rendre visite à son ancienne colonie. « ...Aujourd’hui, je porte tes vêtements. Tu étais partie. Il n’y avait rien à manger. (…) ‘Vous mangerez à l’école’... comme dit souvent papa. Il dépense tout l’argent en bière. » Pipaluk portera les vêtements de sa sœur disparue elle ne sait où – à moins qu’un corbeau, l’invitant à le suivre, ne lui fournisse la réponse. Elle arpente les friches en haut des fjords, parvient à l’ancien camp militaire avec ses milliers de fûts éventrés, renversés, les véhicules rouillés, la terre polluée... Retrouve sa sœur. Que son père a violée alors qu’elle avait revêtu ses habits de fête, ceux que Pipaluk endosse à présent. Sobriété du texte, sobriété du trait (nombreux aplats, couleurs franches, pleines pages) : cet album est un cri qui ne sort pas de la bouche de la fillette – et qui retentit d’autant plus fortement de page en page et sur ce paysage glacé. La joie affichée en ce jour de fête nationale s’oppose à la sordide réalité du quotidien. Les deux auteurs avaient déjà publié Zénobia (Marabulles, 2018), un bel album sur la guerre en Syrie. Celui-ci, Ivalu, les révélera sans doute en France.

* Morten Dürr/Lars Horneman, Ivalu (2019), trad. Catherine Renaud, Sarbacane, 2021

 

Petzi voyage sous terre

Petzi voyage sous terre

L’humour des albums de Petzi est toujours très décalé. Ainsi, dès la première page de celui-ci, Petzi voyage sous terre : « ‘Regarde Petzi ! On dirait qu’il se passe quelque chose d’étrange sur la côte !’ (…) ‘Effectivement c’est étrange. La côte semble s’éloigner de nous.’ ‘C’est peut-être parce que tu tiens la longue-vue à l’envers, Pingo.’ » C’est parti, et page après page à ce rythme. Ainsi, plus loin, tout l’équipage s’apprête, munis de seaux, à éteindre ce qui semble être un incendie, mais... oublient de les emplir d’eau ! Ce n’est pas du premier ni du second degré, c’est de l’humour loufoque, non pas absurde mais très décalé. C’est fin et surprenant. Du dadaïsme plus que du surréalisme. Ou plus justement du Carla et Vilhelm Hansen, repris brillamment par Thierry Capezzone et Per Sanderhage. Les éditions Caurette poursuivent la publication de cette célèbre série danoise pour la jeunesse, en intercalant réédition et inédits, comme avec ce volume. Les jeux de mots abondent, plus que précédemment. Les enfants qui apprécient l’humour des Moumins de Tove Jansson devraient s’y retrouver – et les adultes également, bien que les univers soient très différents. Ici, Petzi et ses amis aident à la construction d’un métro sur une île volcanique... !

* Thierry Capezzone/Per Sanderhage (d’après Carla & Vilhelm Hansen), Petzi voyage sous terre, Caurette, 2023

Petzi fait la moisson

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C’est l’été, il fait beau là où vivent Petzi et ses amis. Des légumes sont à ramasser. Évidemment, avec l’aide d’une taupe sous le champ de carottes, cela va plus vite, elle les pousse du dessous et il suffit de s’en emparer. Dans ce nouvel album, Petzi fait la moisson, l’humour est présent à chaque page, comme toujours avec Carla et Vilhelm Hansen. L’humour et... l’ingéniosité. Pourquoi ne pas faire la moisson avec une paire de ciseaux ? « Même si la récolte va durer toute la semaine », c’est « bien plus rigolo » et puis, cela permet de conserver une parcelle debout, pour que « nos amis puissent jouer à cache-cache ». Écolo, Petzi ? Peut-être pas : juste prévenant avec les autres, attentif avec la nature. Quand Petzi interpelle Pierre, le fermier, c’est en ne cachant pas ses a priori : « Mais, Pierre, tu n’a pas l’air soucieux. Il me semblait pourtant que les fermiers avaient toujours l’air soucieux ». Et du coup, le chien Léon se charge d’être « celui qui s’inquiète » à la place de son maître. Avec Petzi, il y a toujours une solution, même dans les situations apparemment les plus désespérées. Ainsi, pour séparer les grains des épis, les poussins sont-il requis – ils « le font drôlement bien ! » Ou, pour trouver sa route en pleine mer, suffit-il de placer une carotte ou la girouette de l’horloge de la mairie à la place du gouvernail, qui indique la bonne direction – droit devant ! C’est l’une des qualités de cette longue série : dénicher la façon de faire qui permettra à chaque personnage de l’histoire de repartir sereinement dans son rôle. Les éditions Caurette ont repris la publication de cette célèbre série danoise pour la jeunesse, en intercalant réédition (comme celle-ci) et inédits signés Thierry Capezzone. À la différence du travail entamé par les éditions Place du Sablon, pas d’appareil critique, ici, la bd est au plus près de ce qu’elle était initialement, avec cependant des retouches dans les dessins, des ajouts, des recadrements... Du Petzi dans le texte, en quelque sorte. Une bonne idée pour ce classique de la littérature à destination de la jeunesse, qui bonifie au fil des années.

* Carla & Vilhelm Hansen, Petzi fait la moisson (Rasmus Klump høster, 1959), trad. Thierry Capezzone & Célia Ramonnet, Caurette, 2023

Petzi et Ursula

Ursula

Rebaptisé Petzi lors de l’adaptation de ses aventures en français, le personnage de Rasmus Klump est très connu des enfants danois. Créé en 1951 par Carla (1906-2001) et Vilhelm Hansen (1900-1992), les différents volumes qui le mettent en scène ont d’abord été publiés dans le désordre et avec désinvolture, comme le montre le dessinateur et scénariste belge André Taymans dans sa présentation, aujourd’hui, des volumes aux éditions Place du Sablon. De fait, (re)découvrir les aventures de Petzi/Rasmus dans ces albums de belle qualité permet de mieux comprendre pourquoi ce héros a été si populaire au Danemark. Adepte d’une débrouillardise qui frise les sommets d’une philosophie de la simplicité, Petzi/Rasmus sait s’entourer d’une kyrielle d’amis divers, tous généreux et rivalisant, comme lui, d’ingéniosité. « …Naturellement, nous n’avons jamais douté du savoir-faire de nos héros. » Cette nouvelle publication respecte enfin la progression des histoires et de leurs cases sans bulles, avec le texte au-dessous de chacune d’elles (trois fois trois cases, horizontalement, par page), et le visage du locuteur. Elle permettra, espérons-le, au public francophone de faire connaissance avec un personnage de la littérature jeunesse nordique jusqu’alors trop méconnu ici. D’allure souvent sans queue ni tête et hors d’âge, pleines de clins d’œil aux lecteurs, les histoires de Petzi/Rasmus possèdent un indéniable caractère surréaliste et ceci explique pourquoi leur lecture demeure très plaisante.

 

* Carla & Vilhelm Hansen, Petzi et Ursula (Rasmus Klump Møder Ursula), trad. de l’allemand Pascale Maon, dossier de présentation André Taymans, Place du Sablon, 2017

Petzi et le volcan

Petzi et le volcan

Conçus par Carla et Vilhelm Hansen, le personnage de Petzi et ses amis ont connu bien des transformations au cours des différentes publications de leurs aventures. Aujourd’hui, ce sont Per Sanderhage (né en 1952 au Danemark) et Thierry Capezzone (né en 1963 et résidant au Danemark) qui s’en emparent. Le résultat est un peu déroutant, pour qui connaît Petzi/Rasmus (cf. notamment les excellents volumes réalisés par les éditions Place du Sablon, qui retracent l’historique de ce héros danois pour les enfants), mais l’esprit farfelu, espiègle et malin de l’ourson est toujours là. Humour absurde, ironie, mais aussi bienveillance et solidarité, voilà les ingrédients de cette nouvelle recette (« ...Nous allons déjeuner. Tu veux te joindre à nous ? »). Quand un tonneau de poivre explose, la population du port dans lequel l’équipe (autrement dit, outre Petzi, l’amiral, le perroquet, Pingo, Riki et Caroline) a accosté pour... trouver un clou, est bien embêtée, plus rien ne fonctionne. Comme de coutume, les idées ne leur manquent heureusement pas. Le volcan qui fume, à proximité, leur donnera du feu, d’autant plus qu’un escalier conduit à l’intérieur. Les marches « descendent dans le volcan ». Mais « dommage qu’il n’y en ait pas (…) aussi pour monter ! » Dans le volcan, c’est une vraie ville qu’ils découvrent, avec même une pierre pour indiquer la météo : « Si elle est mouillée, c’est qu’il pleut, et si elle est sèche, c’est qu’il ne pleut pas. » Le champignon est l’aliment roi et des dragons fournissent des flammes pour la cuisine. Outre les dialogues finement surréalistes, soulignons la qualité des illustrations, bien différentes de celles d’origine. Seulement pour les enfants, Petzi ? Que les adultes se plongent dans cet album, Petzi et le volcan, et on en reparlera !

* Per Sanderhage & Thierry Capezzone, Petzi et le volcan, Caurette, 2021

 

Mira, mes copains, mes copines et l'amour

Mes copains mes copines et l amour

Mira est une pré-ado qui rêve de tomber amoureuse. Elle vit avec sa mère (« Parfois, ma mère m’énerve, mais elle est sympa quand même. »), dans une ville du Danemark d’aujourd’hui. Naja, sa meilleure copine, lui fait des infidélités. « Cher journal, il est minuit ! Pour cette nouvelle année, plutôt que des résolutions, j’ai surtout beaucoup d’espoirs. » Ce premier volume, Mira, mes copains, mes copines et l’amour, raconte les efforts de Mira pour trouver un « petit ami ». Louis pourrait-il faire l’affaire ? L’auteure, Sabine Lemire (née en 1974), se met directement en scène, croquée par les dessins de son compagnon, Rasmus Bregnhøi (né en 1965 et illustrateur de nombreux livres pour enfants). Ça ne vole pas très haut, c’est le monde vu par une fillette d’une douzaine d’années qui ne rêve que de ressembler à ses camarades de classe. Quelquefois drôle. Avec bien sûr le vocabulaire de l’époque. Parfait pour les enfants qui ne tiennent pas à se casser précocement la tête... !

  • * Sabine Lemire, Mira, mes copains, mes copines et l’amour (Mira. #venner #forelsket #etårimitliv, 2017), trad. Aude Pasquier ; ill. Rasmus Bregnhøi, Casterman, 2023

Tous les monstres

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Il n’est pas interdit de penser à Edvard Munch (si, si !), voire, bien sûr, à John Bauer, en lisant Tous les monstres, de John Kenn Mortensen (né en 1978, connu également sous le nom de Don Kenn). La technique picturale n’est pas la même (uniquement en noir et blanc, façon gravures sur bois, chez Mortensen) mais leurs thèmes se rejoignent : des êtres bizarres, qui ne font pas peur aux enfants malgré leur allure effrayante, apparaissent ici ou là dans notre monde et, tant bien que mal, nous les acceptons et vivons avec. Monstres terrestres, monstres ailés, monstres aquatiques… Monstres attendus, monstres improbables… Et personnages et décors quelquefois récurrents. Pas de texte dans Tous les montres, seulement des dessins. Chaque page de ce petit volume est une œuvre graphique – initialement réalisée sur des post-it jaune. John Kenn Mortensen réalise des émissions pour les enfants à la télévision. De par sa qualité et de par son sujet (l’enfance et ses angoisses – autrement dit, les grandes peurs existentielles), ce livre peut toucher un public beaucoup plus large que les seuls enfants. Il est évident qu’en réalité, il ne leur est pas destiné. Les adultes, eux, se régaleront. Superbe.

 

* John Kenn Mortensen, Tous les monstres (Post-it-monstre, 2011 & Flere post-il monstre, 2014), Warum, 2017

Copenhague

Copenhague

Une sorte d’Amélie Poulain adaptée en bande dessinée et prenant la capitale danoise pour cadre, que ce livre du couple Anne-Caroline Pandolfo (née en 1970) au scénario et Terkel Risbjerg (né en 1974 à Copenhague) au dessin, Copenhague. Tantôt en couleurs et tantôt en noir et blanc, les illustrations reflètent pile poil et l’action et les sentiments des personnages. Nana Miller, une quarantenaire soucieuse de prendre l’air, quitte Paris, laissant son adolescente de fille se débrouiller seule, pour passer quelques jours dans la ville de la Petite sirène. Mais voilà qu’à peine débarquée de l’avion, elle apprend qu’une sirène morte a été retrouvée dans le centre-ville, provoquant l’émoi de l’ensemble de la population du pays. « Une sirène qui meurt... Il n’y a rien de plus triste, de plus beau et de plus absurde ! » Impossible, de fait, de rentrer en France, les transports ne fonctionnent plus, tout est paralysé. Heureusement, Thyge Thygesen, chroniqueur à la radio pour la jeunesse, un brave Danois francophone (aux idiotismes succulents) rencontré à l’hôtel où il loge tout comme elle, lui vient en aide. Tous deux, assisté de Nom d’un chien, l’animal à quatre pattes de celui-ci, vont tenter de faire la lumière sur cette sinistre affaire. Car au pays de la Petite sirène, une telle mort est un événement grave : « On a touché à un trésor national, à notre cœur, à notre poésie, à notre enfance à tous », déclare la reine (« une passerelle temporelle ») lors d’une intervention devant son peuple. Mais la police qui n’a pas de suspect sous la main s’interroge sur les déplacements de Thyge et Nina dans la ville. C’est burlesque et subtil, c’est inattendu. Une histoire d’amour mâtinée d’une histoire policière au pays du bonheur communicatif de vivre... Excellente surprise, vraiment, que cet ouvrage !

* Anne-Caroline Pandolfo & Terkel Risbjerg, Copenhague, Dargaud, 2024

Déserteur

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Nous sommes en Turquie, à proximité de la frontière avec l’Arménie, dans les années 1960-1970. Dans le village où vit la famille de Halfdan Pisket, diverses populations cohabitent en paix. Chacun a sa croyance mais vivre ensemble ne pose pas problème. La tête cagoulée, les soldats turcs surveillent le village. Un jour, ces « sans visage » assassinent un jeune homme qui ramassait du bois. Les habitants, « ce n’est pas de la haine qu’ils ressentent (…). Peut-être de la colère. Pour eux, c’est pareil. Comme quand les loups attaquent les chevaux. » Le narrateur est un jeune homme plutôt insouciant, qui n’accepte pas ce crime. Ses parents lui rappellent qu’il doit prendre la suite de son père pour maintenir la « cohésion familiale » lorsque celui-ci ne sera plus là, car son frère est mort. Son frère était un joueur de flûte. Il s’est retrouvé un peu malgré lui dans une manifestation. « La peur se répand dans la foule. Les fusils font feu. Ça se produit alors que les gens sont à l’arrêt, qu’ils ne s’y attendent pas. Alors qu’on n’y croit pas. Que le pouvoir soit aussi brutal. Qu’ils nous tirent dessus. Jusqu’à ce que la flûte tombe. Et que le cœur s’arrête. » Puis le narrateur est incorporé, subit des brimades, tue son supérieur, s’enfuit. Il est emprisonné et de violents interrogatoires se succèdent. Né en 1985, fils d’émigrés turco-arméniens, Halfdan Pisket signe, avec Déserteur, le premier volume d’une trilogie inspirée de la vie de son père. Bien que plus d’une quarantaine d’années nous séparent de ces événements, la lecture de ce livre ne peut qu’aider à comprendre la ligne de plus en plus autoritaire adoptée aujourd’hui par le gouvernement turc. Saisissant.

 

* Halfdan Pisket, Déserteur (Desertør, 2014), trad. Jean-Baptiste Coursaud, Presque Lune, 2017

Cafard

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Cafard est à lire à la suite de Déserteur. Dans le deuxième volet de cette trilogie autobiographique en bande dessinée, Halfdan Pisket, danois d’origine turque, conte ses premier pas au pays de la Petite sirène. « Je décide de partir au Danemark plutôt qu’en Allemagne. Dans les magazines, les filles sont plus jolies là-bas. » Une raison qui en vaut une autre, et qui ne lui épargnera évidemment aucune déconvenue. Exploité dans une champignonnière, il perd son emploi. Pour rester au Danemark et poursuivre sa liaison avec Sofie, qui n’est pas encore majeure, il épouse une autre femme. « Tu veux te marier avec une autre femme et vivre avec elle pour rester avec moi ? » résume Sofie, qui ne comprend pas bien cette logique. Mais la fête nuptiale tourne mal, notre héros se bagarre et est renvoyé en Turquie, « un retour dans un pays où je n’ai plus ma place », regrette-t-il. Il parvient tout de même à revenir au Danemark, muni cette fois d’un faux passeport. Il rencontre une Finlandaise, l’épouse, lui fait deux garçons, des jumeaux, insiste pour qu’elle vive à Helsingør. Là, devenu chauffeur de taxi, il accumule les aventures féminines et fume du hasch pour calmer ses crises d’épilepsie. Sa vie déraille, il a l’impression de ne pas pouvoir sortir d’un labyrinthe. Sa femme le quitte, il part à Aalborg, deale du shit, est arrêté, purge une peine de prison. « Lorsque le soir je me retrouve seul dans ma cellule et que la porte est verrouillée de l’extérieur, je me dis qu’une nouvelle journée vient de s’écouler, que c’est un jour en moins à m’interroger sur ma vie. » De retour à l’air libre, il fait la connaissance d’Arla. Tous deux ont un enfant. Avec l’aide d’un ami danois et d’un compatriote, il ouvre un lieu pour les membres de la communauté turque, que la mafia se met à fréquenter. Cela tourne mal, il est violemment agressé, défenestré. « ...J’ai passé ma vie à fuir (…), j’ai toujours été rattrapé et anéanti par ce qui m’entourait. » N’y aurait-il pas d’autre solution, peut-on se demander ? D’autres choix à faire ? On attend avec impatience le troisième volume.


 

* Halfdan Pisket, Cafard (Kakerlak, 2015), trad. Jean-Baptiste Coursaud, Presque Lune, 2018

Slik miks

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Mikkel Sommer (né à Copenhague en 1987) a réuni dans ce volume, Slik miks, quelques courtes bandes dessinées qui ont pour point commun de prendre la vie quotidienne pour cadre. Des crobars, des esquisses au crayon, au pastel, qui laissent imaginer de quoi le dessinateur est capable. On reste évidemment sur sa faim, les planches se succèdent trop vite. Les explications, en fin de volume, sont succinctes : « C’est une sorte de monologue intérieur expérimental. Mais l’intérieur de qui ? », « L’ennui et les gestes anodins sont des inspirations sans fin », ou « Inspiré par une vraie discussion entre l’artiste et sa fille »... Hum ! On se dit que certaines planches (« No news days », « Le chat et la souris ») augurent d’un talent incontestable, mais pourquoi s’arrêter là ? « Par conséquent, nous proposons de nous attaquer aux petits problèmes, un problème à la fois, et de parvenir lentement mais progressivement à régler les plus gros... » On ne peut qu’en réclamer davantage.

* Mikkel Sommer, Slik miks, Fidèle, 2022

 

 

La Chute de Cuba

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De Jan Stage (1937-2003), on ne trouve qu’un titre traduit en français : Le Sourire du dauphin (L’Élan, 1997), un roman d’espionnage ciblé sur les difficiles accords de paix entre Israël et la Palestine, avec son lot d’espions de toutes obédiences. Signée Morten Hesseldahl pour le scénario (auteur, par ailleurs, de romans policiers) et Henrik Rehr pour les illustrations, La Chute de Cuba est une bande dessinée dont l’écrivain est le personnage principal. On y croise d’autres baroudeurs, comme Régis Debray (qui aurait été un agent de la CIA ?) et surtout Ernesto « Che » Guevara. La vie de Stage (dont les Français ignorent tout – une petite présentation bio et bibliographique par l’éditeur aurait été la bienvenue) est ici abordée presque exclusivement sous l’angle de son activité au service de la révolution communiste. Mais les quatre-vingt pages du volumes ne nous renseignent guère sur les raisons de son engagement, ses choix, ses succès ou les impasses auxquelles il a été confronté. « Il voyait tous les défauts comme seul sait le faire celui qui ne les connaît que trop bien en lui-même. » Jan Stage n’aurait-il été qu’une grande gueule, misanthrope et alcoolique ? En dépit d’un dessin agréable et d’une narration fluide, nous n’en apprenons pas beaucoup, ici, sur cet écrivain singulier. Permettons-nous de renvoyer le lecteur, pour un portrait plus détaillé, à notre ouvrage, Dictionnaire du roman policier nordique(Les Belles lettres).


 

* Morten Hesseldahl & Henrik Rehr, La Chute de Cuba(The Cuban fall, 2016), trad. de l’anglais Chritine Laferrière, Presque Lune, 2017

 

 

Le Sourire du faucon (Infiltrés, 1)

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Signé Sylvain Runberg (auteur, par ailleurs, de l’adaptation de Millénium, de Stieg Larsson, en 6 volumes chez Dupuis) et Olivier Truc pour le scénario, Olivier Thomas pour les dessins et Delphine Rieu pour les couleurs, l’album intitulé Infiltrés (tome 1, Le Sourire du faucon), paru aux éditions Quatrants (Soleil, Delcourt), commence un jour de juillet... 2016, à Copenhague. Des activistes d’extrême droite mitraillent la façade d’une mosquée. En prenant la fuite, ils renversent et tuent un imam qui en sortait. La pertinence de la violence est la question qui se pose à eux. « Nous menons une lutte de civilisation face à un ennemi qui est dans la place ! » déclare le leader du Renouveau danois, groupuscule néo-nazi désireux d’accéder au pouvoir. « Ça fait des années que les mouvements patriotes font l’erreur de se concentrer sur les musulmans en criant au cancer, mais ça stagne, tout ça, ça ne mène nulle part ! (...) Nos ennemis, ce sont les gouvernements européens qui ont fait alliance depuis quarante ans avec les pays arabes producteurs de pétrole. (...) Et ça, Breivik l’avait bien compris. » Ce discours, en France, n’est-il pas au centre, finalement, de la prétendue controverse entre Jean-Marie Le Pen et sa fille ? Il alimente la rhétorique de nombreux partis d’extrême droite européens. La société a évolué, les ennemis d’aujourd’hui, pour les nationalistes, ne sont plus forcément ceux d’hier. Selon eux, la société occidentale serait la proie de divers complots, tous ayant pour but de métisser la population et d’islamiser les cultures. L’heure serait donc venue d’agir, par les urnes si cela est possible ou bien de manière violente. Infiltrés met intelligemment en garde ses lecteurs – qui attendent impatiemment le ou les volumes suivants. L’intrigue est crédible, hélas ! et montre que ceux qui ont souhaité instaurer un cordon sanitaire autour du Front national ou, au-delà de nos frontières, d’autres partis de ce type, n’avaient pas tort. Prônant ouvertement ou insidieusement la haine et l’exclusion, les partis nationalistes ne sauraient être des partis « comme les autres ». Et… vive les Femen !

 

* Olivier Truc/Sylvain Runberg/Delphine Rieu/Olivier Thomas, Le Sourire du faucon , Infiltrés (1), Soleil (Quadrants), 2016

Les Larmes de Jolène (Infiltrés, 2)

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Signé, comme pour le premier volume (Le Sourire du faucon), Sylvain Runberg et Olivier Truc, avec Olivier Thomas au dessin, Les Larmes de Jolène constitue la suite d’Infiltrés, une bande dessinée qui prend la ville de Copenhague pour cadre et relate, aujourd’hui (été 2016), la montée de l’extrême droite dans le pays. Un groupe de mlilitants du Renouveau danois entend s’attaquer à tout ce qui représente le « système » : « Je ne reconnais pas votre justice de traitres, d’islamo-gauchos, de lèche-babouches qui favorise l’immigration de masse des violeurs en bande », explique ainsi crânement l’un de ces militants lors de son interrogatoire par la police. Un attentat est fomenté, que la police tente de déjouer. Entre les islamistes fondamentalistes et les identitaires ras de terre, l’avenir est plutôt vert-de-brun. « Merdre à eux ! » dirait notre Zazie (Queneau) nationale mais pas nationaliste.

 

* Olivier Truc/Sylvain Runberg/Olivier Thomas, Les Larmes de Jolène, Infiltrés (2), Soleil (Quadrants), 2016

Géant et le fâcheux rendez-vous

Assez peu de texte et des dessins plutôt psychédélique pour ce séduisant album de Rune Ryberg (né en 1979), Géant. « C’est juste une blague... On m’a surnommé comme ça il y a des années. À l’époque, c’était pour se moquer. Avec le temps, je me suis habitué à ce stupide surnom », avoue le personnage principal, un motard à tête d’enclume, à Donna, la jeune femme avec laquelle il campe en pleine forêt. Mais de drôles d’événements surviennent, sa moto se transforme en épée et sa « dulcinée », une « chouette fille », disparaît dans une autre dimension. Une histoire bien loufoque pour petits et grands, dans laquelle le lecteur entre facilement, jusqu’au moment où il tourne la dernière page : dommage ! se dit-il.

 

* Rune Ryberg, Géant et le fâcheux rendez-vous (Gigant, 2015), trad. Marc-Antoine Fleuret, Les Aventuriers de l’étrange, 2018

 

Tilt

Il y a eu, selon Rune Rydberg, trois générations de flippers, ce jeu aujourd’hui farci d’électronique, qui consiste à empêcher une balle de descendre vers le milieu de l’appareil. C’est la deuxième qu’il nous conte dans cet album très coloré, Tilt – le titre s’imposait. Jeu addictif naguère réservé plutôt aux adolescents, il voyait se rassembler des petits groupes de jeunes gars dans les arrières-salles des bistrots, où ces appareils étaient souvent confinés – peut-être parce que pas mal bruyants et pas toujours appréciés des rougeauds qui faisaient tourner le commerce. Dans cette belle BD, Rune Ryberg met en scène deux jeunes hommes, Bass et Rick, le premier gentil et amoureux de Jeanie, qui travaille dans une salle d’arcades – lieu où l’on peut jouer au flipper, le second s’attirant des ennuis partout où il passe. La ville n’est volontairement pas nommée, c’est une métropole occidentale dans laquelle les deux paumés se livrent à divers larcins. Leur allure est celle d’animaux, mais on ne sait trop lesquels : canards, chiens, loups, dauphins, au choix. Les couleurs sont criardes, l’impression de mélange et de rapidité s’en dégage. L’intrigue est mince et pourtant, les pages se tournent, Bass et Rick présentent, mine de rien, un monde peu souvent traité dans la bande dessinée ou la littérature. Original.

 

* Rune Ryberg, Tilt (Deathsave), Vraoum (En prise), 2018